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rée, dans les débris qui nous en restent, pour représenter des périodes progressives de style. Ce sont les variations du système de guerre, les crises féodales, les exigences de la vie privée, qui déterminent les âges caractéristiques de ce genre d’architecture, et ces indices nous paraissent à la fois les plus sûrs et les plus instructifs. M. de Caumont ne pouvait pas tout voir par lui-même ; le cercle de son investigation ne dépasse jamais l’ouest de la France. La base de ses conclusions est donc étroite et incertaine : ce qui n’atténue pas la reconnaissance des artistes pour avoir importé chez nous une bonne méthode d’observation, et s’être voué le premier à un enseignement qui déjà porte ses fruits.

Pour que l’archéologie monumentale pût affermir son autorité scientifique, il faudrait qu’elle comptât beaucoup d’explorateurs exacts et judicieux comme M. Prosper Mérimée. En sa qualité d’inspecteur des monumens historiques, M. Mérimée a visité cette année les monumens de l’ancienne Bretagne[1]. Cette contrée, plus qu’aucune autre, a conservé l’empreinte des trois âges de la civilisation européenne. Les monumens celtiques y sont encore en grand nombre. Quoiqu’ils aient particulièrement attiré l’attention des antiquaires, leur origine et leur destination sont encore problématiques. La forme et la disposition de ces masses grossières varie tellement, qu’il est impossible d’asseoir un système sur un classement méthodique ; enfin, les traditions, desquelles on devrait recevoir quelque lumière historique, sont encore confuses et mal interprétées. Néanmoins, le vague espoir d’une découverte décisive alimente le zèle des érudits ; celle qu’on vient de faire dans une petite île du Morbihan n’est pas sans importance. Le dolmen de Gavr’ Innis se distingue de toutes les constructions celtiques par des sculptures et des dessins bizarres qui couvrent ses parois intérieures. Au milieu de ces ornemens, on voit des triangles très allongés, fort semblables à des coins, rappelant par cela même l’écriture cunéiforme. M. Mérimée, qui, en fait d’archéologie, professe le scepticisme, se refuse à cette conjecture, parce que, dit-il, ces signes ne paraissent se prêter qu’à un très petit nombre de combinaisons. Il nous semble qu’un rapprochement si singulier, conforme d’ailleurs aux hypothèses de l’ethnographie, demanderait un examen plus approfondi. L’établissement des Romains dans la Bretagne ayant été purement militaire, les ruines qu’ils y ont laissées n’ont qu’un intérêt stratégique. Enfin, la même province, si profondément catholique, est moins riche qu’aucune autre en édifices religieux. Ses grandes constructions datent d’une époque de décadence pour l’architecture, de la fin du xive au commencement du xvie siècle. On remarque pourtant que

  1. Notes d’un voyage dans l’ouest de la France, 1 vol. in-8o. Chez H. Fournier, rue des Petits-Augustins, 26.