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sait là autant de bruit qu’ici Mlle Elssler avec ses castagnettes ; parce que c’était une rage d’ergoter, parce que tout le monde s’en mêlait, parce qu’on achetait trois talens (somme énorme) les ouvrages de Speusippe, radoteur hypocrite qui prit plus de goût, dit l’Encyclopédie, pour Lasthénie et pour Axiothée, ses disciples, qu’il ne convient à un philosophe valétudinaire ; parce qu’enfin Athènes était la ville bavarde par excellence, platonicienne, aristotélicienne, pythagoricienne, épicurienne, et que les gens à effet comme Polémon se trouvaient là comme des poissons dans l’eau. Pourquoi aujourd’hui n’est-ce plus possible ? Parce que nous n’avons, nous, ni Épicure, ni Pythagore, ni Aristote, ni Platon, ni Speusippe, ni Xénocrate, ni Polémon.

Mais pourquoi encore ? Que les miracles s’usent, cela s’entend, vu le grand effort que ces choses-là doivent coûter aux lois obstinées qui ont coutume de régir le monde. Mais cette grandeur, cette éloquence, ces temps héroïques de la pensée, sont-ils donc perdus ?

Oui, monsieur, ils le sont, et voilà notre dire, et voilà aussi un long préambule ; mais, si vous l’avez lu, il n’y a pas grand mal à présent ; nous en profiterons, au contraire, et nous nous servirons de notre histoire, choisie au hasard entre mille, pour poser un principe : c’est que tout est mode, que le possible change, et que chaque siècle a son instinct. Et qu’est-ce que cela prouve ? Direz-vous. Cela prouve, monsieur, plus que vous ne croyez ; cela prouve que toute action, ou tout écrit, ou toute démonstration quelconque ; faite à l’imitation du passé, ou sur une inspiration étrangère à nous, est absurde et extravagante. Ceci paraît quelque peu sévère, n’est-ce pas ? Eh bien ! monsieur, nous le soutiendrons ; et si nous avons lanterné pour en venir là, nous y sommes.

Mais ce n’est pas tout. Je dis qu’à Athènes l’action de Polémon fut belle, parce qu’elle était athénienne ; je dis qu’à Sparte celle de Léonidas fut grande, parce qu’elle était lacédémonienne (car, dans le fond, elle ne servait à rien). Je dis qu’à Rome Brutus fut un héros, autant qu’un assassin peut l’être, parce que la grandeur romaine était alors presque autant que la nature ; je dis que, dans les siècles modernes, tout sentiment, vrai en lui-même, put être accompagné d’un geste plus ou moins beau, et d’une mise en scène plus ou moins heureuse, selon le pays, le costume, le temps et les