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rentrer dans la chambre de votre cousine ou de votre oncle sans l’autorisation de l’abbé, s’écria Patience. — Je jure que je suis innocent, répondis-je, et que je ne me laisserai convaincre de crime par personne. Arrière tous deux ! laissez-moi. Patience, si vous croyez qu’il soit de votre devoir de me dénoncer, allez, faites-le ; tout ce que je désire, c’est qu’on ne me condamne pas sans m’entendre ; j’aime mieux le tribunal des lois que celui de l’opinion.

Je m’élançai hors de la chaumière, et je retournai au château. Cependant, ne voulant pas faire d’esclandre devant les valets, et sachant bien qu’on ne pourrait me cacher le véritable état d’Edmée, j’allai m’enfermer dans la chambre que j’habitais ordinairement.

Mais au moment où j’en sortais, vers le soir, pour savoir des nouvelles des deux malades, Mlle Leblanc me dit de nouveau qu’on me demandait dehors. Je remarquai sur son visage une double expression de satisfaction et de peur. Je compris qu’on venait m’arrêter, et je pressentis (ce qui était vrai) que Mlle Leblanc m’avait dénoncé. Je me mis à la fenêtre, et je vis dans la cour les cavaliers de la maréchaussée. — C’est bien, dis-je, il faut que mon destin s’accomplisse.

Mais avant de quitter, pour toujours peut-être, cette maison où je laissais mon ame, je voulus revoir Edmée pour la dernière fois. Je marchai droit à sa chambre. Mlle Leblanc voulut se jeter en travers de la porte ; je la poussai si rudement, qu’elle tomba, et se fit, je crois, un peu de mal. Elle remplit la maison de ses cris, et fit grand bruit plus tard, dans les débats, de ce qu’il lui plaisait d’appeler une tentative d’assassinat sur sa personne. J’entrai donc chez Edmée ; j’y trouvai l’abbé et le médecin. J’écoutai en silence ce que disait celui-ci. J’appris que les blessures n’étaient pas mortelles par elles-mêmes ; qu’elles ne seraient même pas très graves, si une violente irritation du cerveau ne compliquait le mal et ne faisait craindre le tétanos. Ce mot affreux tomba sur moi comme un arrêt de mort. À la suite de blessures reçues à la guerre, j’avais vu en Amérique beaucoup de personnes mourir de cette terrible maladie. Je m’approchai du lit. L’abbé était si consterné, qu’il ne songea point à m’en empêcher. Je pris la main d’Edmée, toujours insensible et froide. Je la baisai une dernière fois ; et sans dire un seul mot aux autres personnes, j’allai me livrer à la maréchaussée.