Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/657

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
647
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

quelque temps dans une étude de procureur. Il sortit de là pour être commis-libraire dans la maison Treuttel et Würtz, espérant concilier son goût d’étude avec ce commerce des livres. Le pastoral Gessner avait su faire ainsi. Mais un jour que le jeune Millevoye était, au fond du magasin, absorbé dans une lecture, le chef passa et lui dit : « Jeune homme, vous lisez ? vous ne serez jamais libraire. » Après deux ans de cette tentative infructueuse, Millevoye, en effet, y renonça. Il avait d’ailleurs amassé en portefeuille un certain nombre de pièces légères ; il avait composé son Passage du Mont Saint-Bernard, une Satire sur les Romans nouveaux, couronnée par l’académie de Lyon, et sa pièce des Plaisirs du Poëte. Il publia ces essais de 1801 à 1804, et ne vécut plus que de la vie littéraire, et aussi de la vie du monde, tout entier au moment et au caprice.

Parmi les nombreux essais que Millevoye a faits en presque tous les genres de poésie, il en est beaucoup que nous n’examinerons pas ; ce sera assez les juger. On y trouverait de la facilité toujours, mais trop d’indécision et de pâleur. Talent naturel et vrai, mais trop docile, il ne s’est pas assez connu lui-même, et a sans cesse accordé aux conseils une grande part dans ses choix. Ayant commencé très jeune à produire et à publier, dans un temps où le peu de concurrence des talens et un goût vif des lettres renaissantes mettaient l’encouragement à la mode, il a subi l’inconvénient d’achever et de doubler, en quelque sorte, sa rhétorique, en public, dans les concours d’académie. Il y a nombre de ces prix ou de ces accessit sur lesquels la critique de nos jours, qui n’a plus le sentiment de ces fautes et de ces demi-fautes, est tout-à-fait incompétente à prononcer. On a pu trouver ingénieux, dans le temps, cet endroit de son poème d’Austerlitz, où il parle noblement de la baïonnette en vers :

Là, menaçant de loin, le bronze éclate et tonne ;
Ici frappe de près le poignard de Bayonne.

Tel passage du Voyageur, cité par M. Dumas, a pu exciter l’enthousiasme de Victorin Fabre, généreux émule, qui y voyait l’un des beaux morceaux de la langue. Il nous est impossible à nous autres, nés d’autre part, et nourris, si l’on veut, d’autres défauts, d’avoir pour ces endroits, je ne dirai pas un pareil en-