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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

loctète à la reine Jocaste ; il en rejette le tort sur le faux goût du public, et paraît croire, à cela près, l’ouvrage irréprochable. La Harpe est du même avis, et trouve que Voltaire a, du reste, perfectionné le drame de Sophocle. Sa manière de raisonner est simple ; tout ce qui, dans la pièce française, est orné, brillant, selon le goût moderne, lui paraît supérieur à l’éloquente simplicité du grec. Il ne songe ni à la couleur antique, ni à la gravité que demande la religieuse terreur du sujet. Le marbre divin de Sophocle lui paraît une pierre brute qu’il a fallu polir, et il remercie Voltaire d’avoir pris ce soin.

Ce n’est pas ainsi que pensait Racine, lorsque, dans ses admirables imitations, il s’abstenait du théâtre de Sophocle, comme d’un modèle trop immuable et trop pur. Aux yeux du critique français, quelques artifices de scène, et parfois quelques coquetteries de langage ajoutés au drame grec, sont un progrès incontestable de l’art dramatique. Voltaire lui-même croyait avoir fort surpassé Sophocle, que dans ses préfaces il traite avec une extrême légèreté ; car le jeune et brillant poète, qui bientôt défendit le goût français contre La Motte, ne comprenait pas alors mieux que lui le goût antique.

Cherchons, dans un court parallèle, si Voltaire, en effet, perfectionnait Sophocle. Et d’abord, avouons-le, cette supériorité d’une œuvre d’imitation sur l’œuvre originale, ce perfectionnement d’une pensée antique par des combinaisons modernes, nous paraît en soi chose impossible. Dites, si vous voulez, que cette seconde façon, travaillée par une main habile, est plus rapprochée de vos idées, de vos mœurs, vous plaît davantage ; mais n’affirmez pas qu’elle vaut mieux : il y a chance, au contraire, pour que ce mélange d’esprits opposés, ce double travail sur un même fond, ait produit quelque chose de moins parfait et de moins pur. Prenons pour exemple le plus admirable, le plus inspiré des imitateurs du génie grec, Racine. Est-ce dans ses tragédies grecques-françaises qu’il faut chercher son chef-d’œuvre ? Ce qu’il change, ce qu’il mêle, ce qu’il ajoute à ses modèles, dans Phèdre ou dans Iphigénie, est-ce un progrès ou un expédient de l’art ? Quelques-uns des artifices dont s’est servi Racine pour rapprocher de nos mœurs ces fabuleux sujets ne les altèrent-ils pas, n’en affaiblissent-ils pas le pathétique et la vérité relative ? Pour l’effet