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LE SALON DU ROI.

pourrait pas marcher, ou du moins serait obligée, pour faire un pas, de soulever son pied droit tout d’une pièce. Il serait inutile d’insister sur cette faute, car il est probable que M. Delacroix la connaît aussi bien que nous. Mais comme cette faute est facile à réparer, il ne faut pas que l’auteur l’oublie comme inaperçue.

Pour compléter la décoration du Salon du Roi, M. Delacroix a peint sur les murs couronnés par ces quatre grandes compositions, l’Océan, la Méditerranée et plusieurs fleuves, tels que le Rhône, le Rhin, la Loire. Il a usé de son droit en variant le sexe de ses fleuves, et nous ne songeons pas à le chicaner là-dessus. Il a jugé convenable de les peindre en grisailles et de les tenir dans un ton très clair ; c’est un parti intelligible et facile à justifier. Mais nous croyons devoir lui soumettre deux remarques, l’une sur la conception, l’autre sur la peinture même de ces figures. La forme païenne une fois admise, et nous comprenons très bien que l’art ne la récuse pas, le peintre doit naturellement se proposer de caractériser l’Océan et la Méditerranée, la Loire et le Rhône. Or, pour atteindre ce but, un seul moyen se présente, c’est d’entourer la figure qui personnifie le Rhône ou la Loire d’attributs distinctifs. Si le peintre se croit dispensé d’obéir à cette condition, il n’est pas possible au spectateur de deviner le nom de la figure qu’il voit ; et lors même qu’il le devinerait, son hésitation condamnerait encore l’auteur. M. Delacroix eût trouvé sans peine les attributs distinctifs que nous demandons, et cette addition eût donné à ses figures de fleuves la clarté qui leur manque. Je ne dis rien du mouvement de ces figures ; lorsqu’il s’agit d’ornement, c’est de la ligne surtout qu’il faut s’occuper, et le mouvement des fleuves offre une ligne heureuse. Mais cette ligne gagnerait beaucoup si elle était tracée avec plus de précision, si les plans étaient plus nettement accusés, si les contours étaient écrits plus sévèrement. Puisque l’auteur se décidait à chercher dans ces figures le ton et le style de la statuaire, il ne devait pas oublier le respect constant de la statuaire pour la pureté, pour la précision du contour. Qu’arrive-t-il ? les fleuves de M. Delacroix, dessinés mollement, bien qu’offrant des lignes heureuses, manquent de grandeur et de vie. Ils ont l’air d’être seulement indiqués et d’attendre du pinceau une forme définitive. Les chairs ne sont pas soutenues et ne rappellent pas le marbre dont elles ont la couleur. Il faut peut-être attribuer cette