Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
ADRIEN BRAUWER.

terme. Ils firent saisir Brauwer, qui fut conduit hors de la ville avec défense d’y reparaître.

Notre peintre se trouva d’abord assez embarrassé, mais vers le soir, il rencontra un marchand qui se rendait en France et qui lui proposa une place sur son fourgon.

— Soit, dit Brauwer en riant ; tu vas dans un pays où le vin est bon et les filles jolies ; allons en France.

Et il suivit le marchand.

Arrivé à Paris, il crut qu’il suffirait de se nommer pour trouver admiration et sympathie, comme dans les Pays-Bas ; mais il fut cruellement détrompé. Là, nul ne le connaissait ; on refusa d’acheter ses tableaux. La noblesse française de cette époque était d’ailleurs trop élégante, trop polie pour goûter le genre de Brauwer ; ne touchait-on pas au jour où le roi le plus gentilhomme qu’ait jamais eu la France, devait dire, en apercevant des Teniers : — Ôtez ses magots ! Quant à la bourgeoisie, elle était peu connaisseuse, et s’occupait plus de querelles politiques que de peinture.

Ne trouvant donc à Paris qu’humiliation et misère, Brauwer prit la résolution de retourner à Anvers. Mais la route était longue, et il fallait qu’il la fît à pied, car il était sans ressources. Il est permis de croire que, pendant ces marches épuisantes, Brauwer regretta plus d’une fois ses folles dissipations et sa fatale imprévoyance. L’expérience vient tard pour les esprits légers ; mais il arrive immanquablement un jour et une heure où la vérité leur apparaît : seulement ce jour est quelquefois sans lendemain et cette heure la dernière.

Après deux mois de fatigues de tout genre et de souffrances inouies, Brauwer aperçut enfin le clocher d’Anvers ; mais on eût dit que ses forces ne s’étaient soutenues que par le désir d’atteindre le but. À peine arrivé aux portes de la ville, il tomba privé de sentiment.

Deux jours après, Rubens reçut un billet tracé d’une main tremblante à l’hôpital d’Anvers. Il y courut ; Brauwer était mort la veille, et on lui montra la place où il venait d’être inhumé dans le cimetière des pestiférés. Rubens resta long-temps les yeux fixés sur cette fosse fraîchement remuée ; puis, relevant la tête, il dit à son élève Van-Dyck, qui l’accompagnait :

— C’était un grand peintre, et Dieu seul sait ce qu’il eût été avec une autre éducation ; mais les enfans trop malheureux ne peuvent devenir des hommes de génie.

Peu après Rubens fit enlever le corps de Brauwer, qui fut déposé, par ses soins, dans l’église des Carmes. Il se disposait à lui élever un