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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

de Carrel que d’avoir occupé ses amis même de sa manière de se mettre ; un soin de bon goût, une politesse simple et originale, où ce qui était de l’usage ne semblait pourtant pas imité, et ce qui était de l’homme charmait, des formes de parler singulièrement civiles, agréables, sans mélange d’inutilités, avaient donné à la personne de Carrel assez de séduction pour qu’on songeât à remarquer l’homme charmant dans l’homme supérieur, et, j’ajoute, pour que les austères de son parti l’accusassent de prétentions aristocratiques.

Carrel était devenu, en effet, un personnage aristocratique, mais dans le sens propre du mot, c’est-à-dire un des meilleurs par le talent, par la probité, par la dignité de sa vie. Ce temps de plénitude admirable, de facilité d’esprit, d’humeur aimable et attirante, d’égalité sans nuage, dura peu, deux ans peut-être. Plus tard il s’y mêla quelque caprice, effet des mécontentemens intérieurs, et il est remarquable qu’avec l’inquiétude et le désappointement, au milieu de difficultés inutiles et d’espérances reculées, revint, par intervalles, l’âpreté militaire d’avant 1830. Mais jusqu’à sa mort, Carrel garda cette délicatesse aristocratique qui lui fut tant reprochée, et qui est, à mon sens, l’un de ses titres les plus intéressans au souvenir de son pays ; car si quelqu’un a marqué le vrai caractère que doit avoir l’aristocratie dans les pays démocratiques, pour n’y pas effaroucher et en même temps pour y régler les légitimes instincts d’égalité, c’est assurément Carrel. La seule aristocratie bonne et utile, dans la France du xixe siècle, c’est apparemment celle qui n’a ni traditions d’ancêtres, ni blason, ni étiquette, ni formules héréditaires, et qui n’est que l’excellence naturelle et originale où peut s’élever un homme sans naissance par le talent et la hauteur de cœur, les deux dons qui nous viennent le plus manifestement de Dieu. Or c’est de cette façon que Carrel a été aristocrate.

La conversation de Carrel était profonde et nerveuse, et d’une clarté qu’aucune objection ni aucune matière ne pouvaient troubler. Il parlait avec une facilité sévère et contenue, les mains rapprochées du corps, s’accompagnant d’un geste court, peu varié, mais tout-à-fait accommodé à son genre de verve, plus intérieure qu’extérieure. Il avait peu de traits, si l’on entend par-là ces jeux d’esprit dont le premier averti est celui qui parle. Mais si le trait n’est qu’une pensée juste et forte exprimée avec vigueur, une vue inattendue, un jugement qui décide les incertains, un mot qui s’imprime dans la mémoire comme un fait, ce serait trop peu de dire que son discours en était semé, car c’était tout son discours. J’ai eu le bonheur d’entendre