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le maître, il avait, quand il l’osait, une humeur que rien ne pouvait contenter, ni franchise, ni flatterie, ni liberté, ni servilité. Il envoyait mourir ses ennemis, il exilait ses adulateurs. « Oh ! les misérables nés pour l’esclavage ! » disait, en sortant du sénat, ce maître difficile à vivre, gardant, sous une attitude plate et rampante, des rancunes qui ne perdaient rien pour attendre. « Je plains le peuple romain, disait Auguste en mourant ; il va être broyé sous de bien lentes mâchoires. »

Auguste, lui, en effet, avait gouverné tout autrement. C’était à force de grâce, d’affabilité, de secours aux grandes familles, de largesses au peuple, de jeux, de spectacles, de fêtes, de monumens, qu’il avait concilié tant d’intérêts et ménagé une douce quiétude au monde lassé des guerres civiles. Auguste, en mourant, continuait encore ce système ; il faisait au peuple romain des legs énormes que Tibère ne paya pas.

Ces souvenirs étaient embarrassans pour Tibère ; il ne lui allait pas de se faire gracieux ni libéral. Rien cependant ne lui paraissait très rassurant. Les légions, durement traitées par Auguste, qui avait réservé toute sa sévérité pour elles, se révoltaient, demandaient de l’argent et des priviléges, prétendaient faire un empereur, et faillirent tuer Germanicus, qui ne voulait pas l’être. Le sénat était plein d’ambitions aristocratiques profondes et concentrées ; le monde, enfin, s’était si long-temps et si bien reposé des guerres civiles, qu’il pouvait commencer à être las du repos. Tibère avait peur, et exprimait sa crainte par une métaphore moins noble que pittoresque : « Je tiens, disait-il, le loup par les oreilles. »

Sa grande ressource fut alors, comme auparavant, de s’effacer. Après avoir bien prié pour qu’on ne le forçât pas à devenir César, il semble prendre à tâche d’être aussi peu César que possible. Le sénat surtout, qui lui faisait le plus de peur, fut le souverain auquel il sembla soumettre toutes ses actions, lui renvoyant toutes les affaires, le consultant sur tout, l’encourageant à la liberté, parlant (sans que personne y crut, il est vrai) de rétablir l’ancienne république ; appelant les sénateurs ses maîtres, cédant le pas aux consuls, refusant tous les honneurs ; ne voulant pas être seigneur, pas même dieu ; faisant tout humblement de l’ordre, de la justice, de la paix publique ; simple préfet de police, sous la royauté du sénat. Quant au peuple, lui jetant, pour se populariser, le nom d’Auguste à la tête ; citant les paroles, adorant les traces, imitant les exemples d’Auguste ; ne prétendant pas cependant refaire, comme lui, les vieilles mœurs ro-