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pas déplorer beaucoup cette perte, à en juger par le peu de vers de son disciple qu’il nous a conservés, et qui démentent ses éloges. Ces vers faisaient partie d’un poème de Paulin, qui n’était qu’une paraphrase métrique d’une histoire des rois, ouvrage perdu de Suétone. Il ne faut pas prendre à la lettre ces louanges outrées que se donnaient entre eux les rhéteurs, pas plus qu’il ne faudrait prendre à la lettre les complimens oratoires que le grand Balzac prodiguait aux illustres de son temps.

Balzac, dont l’existence littéraire au xviie siècle a quelque rapport avec celle des rhéteurs du ive, Balzac, qui, comme eux, travaillait ses lettres avec un soin extrême, s’inquiétait plus de l’élégance de ses périodes que de l’équité de ses louanges. Il écrivait, par exemple, au père Josset, dont peut-être vous n’avez pas beaucoup entendu parler : « Oserai-je hasarder une pensée qui vient de me tomber dans l’esprit ; vous chantez si hautement les triomphes de l’église et les fêtes de l’état, la mort des martyrs et la naissance des princes, qu’il semble que vos vers ajoutent de la gloire à celle du ciel et des ornemens à ceux du Louvre ; les saints semblent recevoir de vous une nouvelle félicité, et M. le dauphin une seconde noblesse[1]. » Je ne veux point comparer le père Josset à saint Paulin. Je ne compare que l’exagération, la banalité des louanges. Ce que vante Ausone dans les vers de saint Paulin, c’est l’élégance[2] ; et ce mérite est précisément celui qu’offrent le moins les poésies composées depuis sa conversion. Nous verrons qu’elles en ont un autre plus sérieux. Je sais bien qu’on a supposé que les vers profanes de Paulin étaient meilleurs que ses vers pénitens, et que, par humilité chrétienne, il s’était appliqué à moins bien écrire ; mais j’ai peine à croire que la mortification d’un poète puisse aller jusque là.

Parmi les motifs qui portèrent saint Paulin à embrasser la sévérité chrétienne, on entrevoit des ennuis sur lesquels il s’explique vaguement, et qui furent, ce semble, des ennuis de cœur. Il doit à ces premières tristesses de sa vie ce caractère mélancolique qui donne souvent du charme à ses vers incultes, ce que saint Augustin appelait une dévotion gémissante, pietas gemebunda.

La mélancolie qui tient une si grande place dans ce qu’on pourrait appeler l’histoire intérieure de la poésie moderne, la mélancolie est chrétienne d’origine. Le christianisme seul a inspiré à l’homme

  1. Lettres choisies de Balzac, liv. iii, lettre xv.
  2. Hæc tu quam peritè concinnè quam modulatè et dulciter. (P. Ausonii, ep. i.)