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DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

comme à Chartres, ou au Mans, ou partout, sous lequel disparaissent à la fois les merveilles de la sculpture et le prestige de l’antiquité ; à la vue d’un soi-disant jubé qui, comme à Rouen, élève sa masse lourde, opaque et grossière, à la place même qu’occupait jadis le voile du sanctuaire brodé en pierre et découpé à jour ; à la vue enfin d’un chœur brutalement déshonoré, comme à Strasbourg et à Notre-Dame de Paris, par un revêtement en marbre de couleur ou par une boiserie d’antichambre. Laissons donc là la cathédrale, qui réclame une bien autre indignation. Bornons-nous à la simple paroisse moderne et décorée dans le dernier goût, et voyons quelles sont les traces d’art chrétien que nous y trouverons. Arrêtons-nous un instant devant la façade : vous y verrez quelques colonnes serrées les unes contre les autres, comme à Notre-Dame-de-Lorette, ou bien une série de frontons superposés et flanqués de deux excroissances alongées en pierre, qui ont la forme d’un radis ou d’un sorbet dans son verre, comme à Saint-Thomas-d’Aquin ; vous saurez que ce sont des trépieds où est censée brûler la flamme de l’encens. Quelquefois une tour s’élève au-dessus de cette monstruosité, tour dépourvue à la fois de grace, de majesté et de sens, terminée par une terrasse plate ou par un toit de serre-chaude, ou, comme en Franche-Comté, par un capuchon en forme de verre à patte renversé. Vous vous demandez ce que peut être un édifice qui s’annonce ainsi, si c’est un théâtre, ou un observatoire, ou une halle, ou un bureau d’octroi. On vous explique que c’est un temple. À coup sûr, pensez-vous, c’est le temple de quelque culte qui a remplacé le christianisme. On vous nomme un saint dont le nom figure dans le calendrier chrétien, et vous finissez par découvrir une croix plantée quelque part avec autant de bonne grace que le drapeau tricolore sur les tours de Notre-Dame. C’est donc vraiment une église ! Vous entrez. Est-ce bien vrai ? Oui, il faut le croire, car voilà un autel, des confessionnaux, une chaire, des crucifix. Mais est-ce bien une église catholique, une église où l’on prêche les mêmes dogmes, où l’on célèbre le même culte que celui qui a régné dans les églises d’il y a trois cents ans ? Ces dogmes n’ont-ils pas été profondément altérés, ce culte n’a-t-il pas subi quelque révolution violente ? Où est donc cette forme consacrée de la croix, si naturellement indiquée et si universellement adoptée pour le plan de toutes les anciennes églises ? Où a-t-on copié ces fenêtres carrées, rondes, en parallélogramme, en segment de cercle, quelquefois en poire garnie de feuillage, en un mot de toutes les formes possibles, pourvu qu’elles ne tiennent ni du cintre, ni de l’ogive chrétienne ? Est-ce de cette cage suspendue entre deux piliers, ou de ce tonneau à demi creusé dans le mur, que l’on prêche la parole du Dieu vivant, dans la même langue que saint Bernard et Bossuet ? Qu’est-ce que cette montagne de rocaille qui grimpe à l’extrémité, qui cache le chœur, s’il y en a un, qui élève, sur des colonnes cannelées, un fronton garni de je ne sais combien de gros enfans tout nus dans les postures les plus ridicules, et qui se répète en petit tout le long des bas-côtés ? Serait-ce par hasard l’autel où se célèbrent les plus augustes mystères ?