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conduise ! Sans doute on pourrait encore recueillir plusieurs traits analogues d’autres parties de la France. Ces symptômes sont heureux ; mais qu’ils sont en général peu nombreux ! Notre proposition n’en subsiste pas moins pour l’immense majorité du clergé, qui, nous le répétons, se montre profondément indifférente à la renaissance ou à l’existence de l’élément chrétien dans l’art, et dont l’indifférence ne saurait provenir que de son ignorance fâcheuse sur cette grave matière.

À Dieu ne plaise que nous regardions cette ignorance comme intentionnelle, que nous lui reprochions comme une faute ce que nous regardons seulement comme un très grand malheur. Nous savons mieux que personne toutes les difficultés contre lesquelles il lui aurait fallu lutter pour être arrivé aujourd’hui au point que nous voudrions lui voir occuper. Des persécutions et des épreuves trop longues ont dû naturellement détourner les anciens du sanctuaire de ce genre d’étude ; et depuis la paix de l’église, le nombre des prêtres a été long-temps trop petit pour qu’ils eussent pu dérober au service des paroisses les loisirs nécessaires à l’examen de ces grandes questions. Ils n’ont fait d’ailleurs que recueillir la succession de trois siècles d’inconséquences et d’erreurs, que l’on pourrait, à plus juste titre, reprocher à leurs prédécesseurs. Ceux-ci, en effet, procédaient avec une logique désespérante à la destruction méthodique de tout ce qui devait leur rappeler le mieux la glorieuse antiquité du culte dont ils étaient les ministres. Il ne serait pas resté une seule de nos cathédrales gothiques, si ces masses indestructibles n’avaient fatigué leur déplorable courage ; mais on peut juger de leurs intentions par certaines façades et certains intérieurs qu’ils ont réussi à arranger à leur gré. C’est grâce à eux qu’on a vu tomber ces merveilleux jubés, barrière admirable entre le saint des saints et le peuple fidèle, aujourd’hui remplacée par des grilles en fer creux ! Non contens de l’envahissement des statues et des tableaux païens sous de faux noms, on les vit, pendant le cours du xviiie siècle, substituer presque partout à l’antique liturgie, à cette langue sublime et simple que l’église a inventée et dont elle a seule le secret, des hymnes nouvelles où une latinité empruntée à Horace et à Catulle dénonçait l’interruption des traditions chrétiennes. On les vit ensuite défoncer les plus magnifiques vitraux, parce que sans doute il leur fallait une nouvelle lumière pour lire dans ces nouveaux bréviaires ; puis encore abattre les flèches prodigieuses qui semblaient destinées à porter jusqu’au ciel l’écho des chants antiques qu’ils avaient répudiés[1]. Après quoi, assis dans leurs stalles nouvelles, sculptées par un menuisier classique, il ne leur restait plus qu’à attendre patiemment que la révolution vînt frapper aux portes de leurs cathédrales, et leur apporter le dernier mot du paganisme ressuscité, en envoyant les prêtres à l’échafaud, et en transformant les églises en temples de la Raison.

  1. On sait que tel a été le sort de la flèche de Notre-Dame de Paris.