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LA DERNIÈRE ALDINI.

— Je puis aider votre mémoire, reprit la Grimani. Il y avait dans une loge d’avant-scène, à droite du théâtre, une jeune personne qui vous parut belle ; mais, en la regardant de plus près, vous trouvâtes que son visage était si dépourvu d’expression, que vous vîntes à vous écrier,… en parlant à une de ces dames du théâtre, et assez haut pour que la jeune personne l’entendît…

— Au nom du ciel ! signora, interrompis-je, ne répétez pas les paroles échappées à mon délire, et sachez que je suis sujet à des irritations nerveuses qui me rendent presque fou. Dans cette disposition, tout me porte ombrage, tout me fait souffrir…

— Je ne vous demande pas pourquoi il vous plut de dire votre avis d’une façon si nette sur le compte de la demoiselle de l’avant-scène ; je vous prie seulement de me raconter le reste de l’histoire.

— Je suis obligé, pour être véridique et conséquent, d’insister sur le prologue. En proie à un premier accès de fièvre, début d’une maladie grave dont je suis à peine rétabli, je m’imaginai lire un profond dédain et une froide ironie sur le visage incomparablement beau de la demoiselle de l’avant-scène. J’en fus impatienté, puis troublé, puis bouleversé au point que je perdis la tête, et que je me laissai aller à un mouvement brutal pour faire cesser le charme funeste qui enchaînait toutes mes facultés, et me paralysait au moment le plus énergique et le plus important de mon rôle. Il faut que votre seigneurie me pardonne une folie ; je crois au magnétisme, surtout les jours où je suis malade, et où mon cerveau est faible comme mes jambes ; je m’imaginai que la demoiselle de l’avant-scène avait sur moi une influence pernicieuse ; et, durant la cruelle maladie qui s’empara de moi le lendemain de ma faute, je vous avouerai qu’elle m’apparut souvent dans mon délire, mais toujours altière, toujours menaçante, et me promettant que je paierais cher le blasphème qui m’était échappé. Telle est, signora, la première partie de mon histoire.

Je préparais mon bouclier pour recevoir une bordée d’épigrammes en manière de commentaires, sur ce récit bizarre et, quoique vrai, très invraisemblable, il faut l’avouer. Mais la jeune Grimani, me regardant avec une douceur que je ne soupçonnais pas pouvoir s’allier avec le caractère de sa beauté, me dit, en se penchant un peu sur le bras de son fauteuil : — En effet, seigneur Lélio, votre visage atteste de vives souffrances ; et s’il faut tout vous avouer, lorsque je vous ai reconnu hier, je me suis dit que je vous avais bien mal regardé sur la scène, car vous me paraissiez alors plus jeune de dix