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LES CÉSARS.

Caïus avait ordonné qu’on mît sa statue. C’est ce que l’Évangile appelait d’avance « l’abomination de la désolation dans le temple du Seigneur ; » jusque là, non-seulement dans le temple, mais dans la ville, les soldats romains avaient ôté de leurs enseignes les images des empereurs, telle était l’horreur des Juifs pour tout ce qui semblait une idole, et la tolérance de Rome pour les mœurs et les croyances nationales des vaincus. Aussi, le gouverneur de la Syrie, Pétronius, hésitait, tardait, rassemblait des troupes, faisait traîner en longueur le travail de la statue, sous prétexte de le rendre plus parfait ; tout ce qu’il aurait fallu à Caïus, c’était une grosse masse d’or. Cependant toute la nation avait pris le cilice et la cendre ; la culture des terres était abandonnée. Pétronius voyait venir l’hiver, la famine, à sa suite les tribus arabes grossies par la misère des Juifs, des brigandages que Rome ne saurait plus réprimer : il venait à Jérusalem, négociant pour obtenir par la douceur obéissance aux ordres irréfragables de César. Mais voici venir à lui une multitude de peuple, rangée par classes d’hommes, de femmes, d’enfans, de vieillards, pleurant et gémissant, la tête couverte de cendres, les mains derrière le dos comme des condamnés. « Voulez-vous résister au prince ? leur dit-il. Voulez-vous commencer une guerre ? Voyez votre faiblesse ; voyez la puissance de César. » — « Nous ne voulons pas combattre ; mais plutôt que de violer nos lois, nous sommes prêts à mourir. » Et cette nation entière se prosterna devant lui la gorge découverte, pleine de résignation et de foi, laissant Pétronius assez ému pour qu’il osât écrire à l’empereur et lui demander de nouveaux ordres.

Les choses en étaient là : Caïus ballotté en tout sens par des conseillers divers, touché un moment par la lettre de Pétronius, décidé même en faveur des Juifs par les supplications de son ancien favori le roi Agrippa, puis tiraillé en sens contraire par deux ou trois bouffons égyptiens qui formaient son conseil privé, ennemis des Juifs soit par haine nationale, soit par habitude d’amuser Caïus avec le récit des vexations que les Alexandrins leur faisaient souffrir. Caïus avait pris enfin son parti, il faisait faire au palais sa propre statue ; et comme il partait pour l’Égypte, il voulait la porter lui-même à Jérusalem et écrire sur le fronton du temple : « Temple du nouveau Jupiter, de l’illustre Caïus. »

Il y a deux écrivains qu’il est convenu d’appeler conteurs ; ils ne racontent pourtant que ce qu’ils ont vu, ou ce qu’ils savent par une tradition cohérente et la plus suivie de toutes ; ils sont jugés indignes