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de rigueur ; çà et là pourtant l’auteur se permet d’orner sa pensée, et il semble redouter la sécheresse de la démonstration. Malgré son fervent amour pour la simplicité, il se permet, de loin en loin, un luxe ignoré des modèles qu’il semble vouloir rappeler. Je note cette différence sans vouloir en faire le sujet d’un reproche. Ce qui importe en effet, c’est la vérité des idées ; et quant à la forme, qui sert de vêtement à ces idées, pourvu qu’elle soit en harmonie avec le mouvement général de la pensée, et que les alternatives de richesse et de simplicité soient habilement ménagées, nous n’avons pas le droit de la trouver mauvaise. Il y a dans l’épître à M. Villemain trois parties bien distinctes, ou plutôt trois momens d’une même pensée, l’apologie de Monsieur Jean, l’opposition de la poésie et de la prose, et l’explication de la parenté qui unit la poésie humble et familière à la poésie élégiaque et lyrique. Quant au premier point, du moins en ce qui nous touche, nous trouvons le plaidoyer inutile, et nous ne croyons pas qu’il soit de nature à convertir M. Villemain ; car M. Villemain, par le caractère même de son intelligence, par son éducation littéraire, par ses études de chaque jour, est appelé à comprendre, mieux que personne, certaines faces de la beauté, et en particulier la beauté grecque, la beauté virgilienne plus finement encore que la beauté homérique ; il excelle à sentir et à montrer toutes les qualités littéraires qui se rattachent à l’ordonnance ; mais il y a tout un côté de la poésie qui doit lui demeurer fermé, c’est la peinture des sentimens domestiques, dépouillée des graces de la diction, la peinture du paysage pris en lui-même, réduit aux champs, aux fleuves et aux forêts, du paysage nu et sans acteurs. Si les leçons publiques de M. Villemain avaient pu laisser quelque doute sur ce point, ce doute serait résolu par l’opinion que M. Villemain a exprimée sur Wordsworth en parlant de Byron. Il hésite à classer parmi les poèmes vraiment dignes de ce nom les esquisses descriptives, Laodamia et l’Excursion ; or, s’il était sommé de déduire les motifs de son hésitation, il est évident qu’il insisterait sur l’opposition de la poésie virgilienne et de la poésie des lakists. Mais cette opposition n’est qu’apparente ; si Wordsworth ne continue pas Virgile, il ne le contredit pas. Le poète romain et le poète anglais travaillent sur une matière commune, sur l’homme et la nature ; seulement Virgile voit l’homme et la nature à travers Homère ; et Wordsworth, sans tenir compte d’Homère ni de Virgile, regarde en lui-même et autour de lui. M. Villemain, qui a vécu avec les livres beaucoup plus qu’avec les hommes ou le paysage, se range naturellement du côté de Virgile ; et, en n’approuvant pas