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REVUE MUSICALE.

çais, et peu s’en faut que dans l’enthousiasme qui vous saisit pour cette belle imagination, on n’en vienne à faire bon marché du véritable Otello qu’on représente. Cependant, si vous voulez y réfléchir et surtout écouter, vous ne tarderez pas à vous prendre de bel amour pour cette musique franche, vive, passionnée, ardente, qui ne relève que de l’inspiration du moment, et vous renoncerez peu à peu à vos ambitieux projets de transformation. Cette fois encore l’élan du génie a raison contre les susceptibilités de la critique ; à coup sûr, si Rossini se fût occupé davantage des caractères, il eût écrit un opéra plus vaste, plus complet, plus épique, mais un opéra français ou allemand, comme Guillaume Tell, par exemple. Or, ce qui fait l’inappréciable valeur de ses premiers ouvrages, c’est une inspiration italienne qui ne tarit jamais, et, qu’on me passe l’expression, une nationalité de style qu’on ne trouve que chez les hommes de génie. C’est dans la Cenerentola et le Barbier une humeur mélodieuse qui remplit tout ; dans Tancredi et la Gazza, une verve qui déborde et se répand dans les moindres détails sans que le maître semble y prendre garde. Ce que la partition d’Otello aurait gagné en grandeur à de plus amples développemens dans les caractères, elle aurait, après tout, bien pu le perdre en naïveté. Le naïf devient de plus en plus rare au théâtre, où, d’ailleurs, le grandiose abonde. Rossini obéissait à sa nature ; ce qu’il a fait est bien fait : à tout prendre, il faut que les chefs-d’œuvre restent ce qu’ils sont. Dans Otello comme dans tous les beaux ouvrages du grand maître, on sent la chaude inspiration du pays. Rossini ne voit que le ciel de Naples, ne reproduit que le monde qui chante autour de lui, et ne va pas, comme Bellini, nature mélodieuse, mais débile, regarder l’Allemagne d’un œil mélancolique, lorsque l’Italie est là qui l’enveloppe de tous côtés. Dans Otello, comme partout, le système italien se montre dans sa grandeur et sa faiblesse, et déploie à plaisir son vêtement de pourpre dégradé çà et là. Seulement on doit dire, pour être juste, que les trous ne se laissent voir que sur les bords, et que telle est l’ampleur de cette étoffe généreuse, qu’elle pourrait, toute frange inutile en étant retranchée, fournir encore un manteau royal où se perdrait l’immensité de plus d’un colosse en renom. Tout bien calculé, la part de l’enthousiasme reste encore assez belle, et je ne vois pas qu’il y ait ici tant de quoi se plaindre. En effet, si les airs de bravoure et les cabalettes extravagantes abondent au premier acte, le sublime vous prend au second, et jusqu’à la fin ne vous quitte pas un moment. Où trouvera-t-on un rôle plus vrai, plus harmonieux d’un bout à l’autre, que celui de Desdemona ? Quelle plus admirable occasion pour une ame tendre de s’épanouir, pour une voix sonore de répandre toutes ses vibrations et toutes ses larmes ! Or, dans le caractère de Desdemona, le plus beau peut-être qui soit au répertoire italien,