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LA VALACHIE ET LA MOLDAVIE.

le règne du sultan réformateur, augmente encore cette détresse : étrange et triste accouplement de la misère et de l’abondance[1].

Ces contrées chéries du ciel, deshéritées par les hommes, sont-elles habitées par une race sans cœur et sans pensée ? Non ; nous essaierons de saisir quelques traits épars de leur caractère national, peu étudié et mal connu.

Leur naïve hospitalité frappe d’abord le voyageur qui les visite. C’est un accueil plein de bonté et de charme, qu’il ne faut pas prendre pour cette banale habitude que la frivolité des touristes prête à tous les Orientaux. Le Valaque aime dans l’étranger, non-seulement le caractère sacré de l’hôte et du voyageur, mais la supériorité qu’il reconnaît, la civilisation qu’il n’a pas atteinte. De tous les peuples arriérés que l’Europe renferme, il n’y en a pas un qui sente plus vivement le besoin d’étendre la sphère de ses connaissances et de son pouvoir moral. Le Valaque se prosterne devant la supériorité intellectuelle ; il en adore jusqu’aux marques extérieures et mensongères ; ses préjugés antiques cèdent à son culte pour l’étranger ; un homme instruit est pour lui un demi-dieu. Le Français, dernier résultat, expression complète de la civilisation d’Europe, est accueilli avec enthousiasme en Valachie ; tous ses titres sont reconnus, toutes ses prétentions acceptées ; une évidente stupidité pourrait seule le garantir de l’engouement public.

L’attrait des mœurs indigènes, les égards et les fêtes d’une aristocratie dépensière et voluptueuse, ont fixé en Valachie un grand nombre d’étrangers. Hommes graves et sensés, d’un âge mûr, d’une raison forte, n’ont pas résisté à ce prestige. Tant de séductions, tant d’attentions flatteuses leur ont fait oublier la patrie et

  1. Le dénombrement fait dernièrement en Valachie et en Moldavie, sous l’autorité russe, qui, certes, n’avait aucun intérêt à l’exagérer, a donné le chiffre de plus de 3,000,000 d’ames pour les deux principautés. L’étendue du pays, combinée avec son étonnante fertilité, peut nourrir incontestablement six fois autant d’habitans. Là il n’y a pas de marais à combler, de landes à défricher, de terrains à amender. Des bras et des coups de bêche, voilà tout ce qu’il faut ; une telle facilité d’exploitation ne peut manquer d’attirer, sous un gouvernement stable et soigneux, une nombreuse population, ou bien de la créer, car il est aujourd’hui démontré que les richesses créent les consommateurs. En outre, les industriels de tout genre doivent nécessairement accourir dans un pays où nulle industrie n’existe, quoiqu’il consomme une quantité immense de produits fabriqués.