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Hélas ! elle est au-dessus de sa portée, sinon au-dessus de sa volonté !

Où sont, en Valachie, ces hommes d’élite qui résument en eux et représentent une situation ; interprètes nécessaires des sentimens et de la volonté générale, sachant la formuler brièvement, en faire un symbole politique, et, l’étendard déployé, marcher en avant de tous ? Se poser chef suprême d’un état et d’un état nouveau qui a tout à faire, tout à créer ; gouverner une nation et la former en même temps ; lutter contre des abus invétérés, leur opposer la digue de fortes institutions soutenues par une volonté inébranlable ; être assez dégagé de tout préjugé national, pour combattre un à un les préjugés existans ; ce rôle est au-dessus d’un indigène, quel qu’il soit, et quelle que puisse être son ambition.

Ce rôle réclame un homme qui connaisse l’Europe et sa civilisation, qui se soit nourri de ses idées, familiarisé avec les formules législatives, habitué à la vie politique, capable de s’élever à la hauteur de sa position, et de concevoir un grand système pour l’accomplir. Si ce personnage n’existe pas en Valachie et en Moldavie, on le trouvera sans peine ailleurs. Mais on ne doit pas s’obstiner à vouloir que le pur sang des majestés et des altesses héréditaires coule dans ses veines. Les exécuteurs fidèles et intelligens de sa pensée ne lui manqueront pas ; la pensée suprême, la direction générale, doivent partir de lui seul ; son exemple formerait bientôt école, et produirait de brillans élèves.

Si la Russie, pays barbare, figure aujourd’hui parmi les puissances de premier ordre, c’est que les souverains moscovites ont senti leur propre impuissance et celle des indigènes ; c’est qu’ils ont deviné qu’il n’y avait pas grand’chose à espérer de ces longues barbes qui les entouraient. Ils ont su appeler de bonne heure près d’eux les capacités étrangères, mettant de côté toute prévention nationale, toute sotte jalousie. Vous demandez pourquoi le chef des Kosaques et des Kalmouks pèse d’un poids si lourd dans la balance des intérêts européens, et traite d’égal à égal avec les têtes couronnées qui dirigent les civilisations séculaires ? C’est qu’au milieu de ces hordes barbares et de ces masses d’esclaves, il y a une administration intelligente, une discipline puissante, une diplomatie habile, dirigée presque entièrement par des étrangers. Les