Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
REVUE DES DEUX MONDES.

cartes a tenté de faire pour l’étude de soi-même, table rase de ses opinions antérieures. L’effort seul, fut-il incomplet, deviendrait une garantie de prudence. Mais l’esprit, je le sais, qu’une foi absolue possède, mourrait plutôt que de s’en laisser un instant séparer. Au reste, dans une introduction comme celle-ci, l’inconvénient n’existe pas : ces tableaux généraux ont besoin d’une perspective ; celle que l’auteur trouvait tout naturellement tracée et éclairée par sa foi, était la plus magnifique qu’il pût offrir.

En commençant l’histoire de sa chère sainte, comme il dit, M. de Montalembert s’est fait écrivain légendaire, et, durant tout le cours du récit, il est resté fidèle à ce rôle qu’il n’interrompt que rarement par des retours sur nos temps mauvais, retours inspirés toujours de l’onction et des larmes du passé, ou ranimés d’une espérance immortelle. Dans l’histoire de cette sainte, morte à vingt-quatre ans, fille de rois, mariée enfant au jeune landgrave de Thuringe et de Hesse qu’elle appelle jusqu’au bout du nom de frère, et qui la nomme sœur, bientôt veuve par la mort de l’époux parti à la croisade, persécutée, chassée par ses beaux-frères, puis retirée à Marbourg au sein de l’oraison, de l’aumône, et mourant sous l’habit de saint François ; dans cette histoire si fidèlement rassemblée et réédifiée, ce qui brille, comme l’a remarqué l’auteur, c’est surtout la pureté matinale, la virginité de sentiment, la pudeur dans le mariage, toutes les puissances de la foi et de la charité dans la frêle jeunesse. Comme les anges toujours jeunes de visage, cette sainte nous apparaît toujours adolescente. Ces qualités, que l’auteur croit retrouver exprimées jusque dans les formes de l’église dédiée à sainte Élisabeth, il les a lui-même portées dans son récit. Malgré la difficulté d’être vraiment naïf, en sachant si bien ce qu’on veut et ce qu’on fait, il a laissé échapper sur toutes les pages la candeur que sa piété n’a pas perdue, la facilité à l’enthousiasme, le bonheur d’admirer, d’adorer, la docilité, l’élancement, la simplicité de cœur, toutes ces belles qualités du disciple et du jeune homme, si rares de nos jours à rencontrer, si perverties le plus souvent et si exploitées là où elles essaient de naître. Aussi, dès qu’on y entre soi-même avec quelque simplicité, ce long et lent récit prend un grand charme. On assiste à tous ces détails de l’enfance et des fiançailles de la jeune Élisabeth, à ses ruses innocentes parmi ses compagnes pour se mortifier à leur insu et prier, à ses