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le droit de la poésie nouvelle ; il opposait le signe sensible et direct au signe indirect, le mot pittoresque au mot abstrait et vaguement sentimental. D’autres se contentaient de pratiquer et de prêcher d’exemple. Tous portaient leur bannière déployée ou non, mais ils ne l’en servaient pas avec moins de vigueur.

L’auteur de l’Âne mort arrive au milieu de ce choc d’idées, au milieu d’une mêlée ardente qui divisait toutes les ames et où se forgeaient tous les noms éclatans de l’époque. Il arrive au moment où les esprits entraînés en ligne droite dans des courans d’opinions diverses, se précipitaient, avec une aveugle frénésie de logique, sur les pentes les plus raides et les plus scabreuses des principes absolus. Il a sa fortune à faire, et, pour en finir plus vite, il ne se fait pas emporter par la mêlée, il ne s’aide pas d’un courant ou d’un autre, en s’y jetant à corps perdu. Il rebrousse à la fois contre les partis. Aux vaincus, il dit : Allez-vous-en ; les vainqueurs, il les parodie. Et avec cela il réussit.

C’est bien là un succès paradoxal. Quelle formule nouvelle apportait-il à ces esprits préoccupés de formules et d’innovations ? Qu’avait-il fait pour avancer une seule des questions qui mettaient alors le feu à toutes les têtes ? De quelle idée, de quel principe se faisait-il le représentant ?

D’aucune idée, d’aucun principe. Imagination plastique, matérialiste et vagabonde, s’il en fut jamais, il n’était pas homme à s’éprendre de métaphysique ni à prêter serment à des théories. Il n’était le tenant d’aucun principe ; il se représentait lui-même et ne représentait que lui. Son livre était son image et ne voulait pas être autre chose. Encore était-ce une image à laquelle il n’eût peut-être pas ressemblé la veille, et qui ne devait plus lui ressembler le lendemain. Il fallait, si on l’aimait, l’aimer pour lui-même, non comme symbole ou comme drapeau. C’était tomber d’un puritanisme idéologique dans une espèce d’idolâtrie. Or cela, ai-je dit, est à remarquer, car M. Janin, parmi les écrivains de cette période, est à peu près le seul qui ait été sur l’instant aimé ainsi, aimé d’une manière complètement désintéressée, aimé sans faire école ou sans suivre une école.

M. Janin, en effet, n’est pas un homme tout d’une pièce, chez qui tout s’enchaîne et s’engendre dans une série homogène de faits rigoureusement déduits les uns des autres, un homme qu’on