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Le feuilleton, resserré dans des dimensions exiguës et faciles à remplir d’un jet, était un cadre admirable pour les productions de cet esprit tout en éclats et en fusées, pour ce style qui n’a jamais plus d’abondance et de charme que lorsque l’écrivain n’a rien à dire, qui n’est jamais plus lourd et plus incertain de sa marche que lorsqu’on veut le mettre à la remorque d’une idée. L’imagination de M. Janin astreinte à mener, deux volumes durant, tout le bagage d’une conception régulière en ses développemens, c’est un fringant cheval de course attelé à une pesante charrette. Elle se débat, elle se cabre sous ces liens inusités ; elle entraîne, elle accroche, elle renverse à droite, à gauche, l’insupportable machine, elle la met en pièces, et galope à travers champs, tirant après elle, jusqu’à ce qu’il lui plaise enfin de s’arrêter, les débris dont elle n’a pu se débarrasser. Mais lâchez-lui les rênes dans « son stade accoutumé, » et là elle fera merveille, sans écarts disgracieux, sans sueur et sans fatigue apparente. Aussi avons-nous de la peine à quitter, pour achever de parler de ses livres, son feuilleton, qui a fait sa gloire et les délices du public ; son feuilleton où il parle de tout, à propos de tout ; son feuilleton, le miroir aux innombrables facettes qui reflète incessamment tous les incidens de la vie parisienne ; son feuilleton, qui a trouvé la poésie ou le ridicule de tout ce qui se dit et se fait chaque jour. Tandis qu’autour de lui la poésie se fait rêveuse, chagrine, dégoûtée des biens qui nous touchent, éprise de jouissances ineffables et imaginaires, M. Janin ramène la poésie à ce qui est ; et en attendant le bonheur des purs esprits vers lequel se tournent aujourd’hui tant d’ames obstinées, son imagination, fille folle de son corps, se plonge dans le torrent des joies de ce monde. Il fait parfois de la morale cependant, comme par exemple, à propos de Paganini refusant un concert au profit des victimes du choléra, comme à propos de Nina Lassave étalant pour de l’argent, dans un comptoir d’estaminet, les restes de l’amour de Fieschi. Mais cette morale n’est gardienne que de l’extérieur, de la forme ; c’est le code des salons ; elle tient à une grande délicatesse de nerfs, à des habitudes de vie raffinée et effarouchée avant tout de scandale.

Ce qui se rapproche le plus de son feuilleton, ce sont les articles qu’il a publiés dans la Revue de Paris. Ce sont ordinairement des contes charmans quand ils sont courts et rapides, quand