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pu la sauver, sa triple enceinte séparée par des fossés creusés dans le roc, et ses massifs de maçonnerie qui, situés en arrière et aux angles des bastions, présentaient des cavaliers d’une extraordinaire élévation, d’où les assiégés pouvaient examiner ce qui se passait au dehors. La place n’est garantie par ces triples remparts que du côté de la terre ferme ; au-dessus des rives du Cavéri, au contraire, la muraille, baignée par les eaux, est une simple chemise sans résistance. On avait négligé de fortifier ces parties réputées fortes de leur position naturelle. Aussi ce fut sur la branche occidentale du fleuve, près de la pointe de l’île, que l’assaut fut donné, et la ville emportée le 4 mai 1799. Déjà, en 1792, les troupes réunies de lord Cornwallis et du général Abercromby avaient assiégé Seringapatam ; mais les gués de la rivière étant alors couverts par une ligne de retranchemens que le sultan avait eu tout le temps d’élever, sous la direction d’ingénieurs européens, les opérations du siége se prolongèrent indéfiniment. Cependant, après des pertes considérables de part et d’autre, les Anglais allaient parvenir probablement à réaliser leur pénible conquête, lorsque Tippoo consentit à un traité qui le dépouillait d’une partie de ses états et le réduisait à peu près à l’ancienne nullité des radjahs hindous.

Depuis cette époque, la fin de son règne n’est plus qu’une suite de fautes grossières. Aigri par le malheur, il afficha, avec une maladresse impardonnable, des projets de vengeance aussi violens qu’absurdes ; et lorsque la Compagnie lui demandait compte de sa conduite, il se parjurait bassement. À sa cour, où il s’intitulait fastueusement le seigneur des montagnes, des vallées et des îles de la mer, il accueillait des aventuriers français, gens sans aveu, sans instruction, et républicains d’espèce nouvelle, qui trouvaient bon de vivre aux dépens d’un despote très absolu et d’humeur très irritable. Au milieu de ces énergumènes, Tippoo se parait de l’étrange titre de citoyen-sultan, qu’il était loin de comprendre. On raconte qu’un jacobin, nommé Ripaud, corsaire échoué sur la côte Malabare, se présenta un jour effrontément devant Tippoo, comme un envoyé diplomatique de l’Île-de-France ; il se fit accorder la permission de former un club dont l’ouverture eut lieu avec beaucoup de solennité, et poussa le délire jusqu’à planter l’arbre de la liberté sur la place publique de Seringapatam. Le sultan lui-même eut l’incroyable simplicité d’y assister et de faire saluer le grand mât d’une salve de cinq cents coups de canon. Pour clore la cérémonie, on prononça le serment de haine aux tyrans, à l’exception toutefois de l’excellent citoyen-sultan Tippoo-Saïb !

Ces détails peuvent donner une idée de la folie et de l’aveuglement du sultan. Alors qu’il était le plus besoin d’opposer ruses contre ruses, et de déjouer les adroites menées des Anglais, il resta indifférent à la disper-