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LAZARE.

N’ébranlent pas notre ame et ne l’effraient pas.
Nul peuple comme nous, dans son humeur altière,
N’a su plus fortement remuer la matière,
La mettre sous son joug, et s’en couronner roi
Au nom de la pensée et de l’antique loi.
En dépit de la mort et de son noir squelette,
Nous avons en tout point foulé notre planète,
Elle nous appartient de l’un à l’autre bout ;
Comme l’ombre et le jour nous pénétrons partout.
Ô sublimes forêts, vieilles filles du monde,
Tombez et périssez sous la hache féconde !
Races des premiers jours, antiques animaux,
Vieux humains, faites place à des peuples nouveaux,
Dérobons à la mer ses terres toutes neuves,
Domptons les fiers torrens et muselons les fleuves,
Descendons sans effroi jusqu’au centre divin.
Fouillons et refouillons sans repos et sans fin ;
Et comme matelots sur la liquide plaine,
À grands coups de harpons dépeçant leur baleine.
Partout maîtres du sol, partout victorieux,
Dans le haut, dans le bas, sur le plein, dans le creux,
Du globe taciturne, immense et lourde masse,
Suivant chaque besoin bouleversons la face.


II.

LE POÈTE.


Ah ! ce vouloir immense en un si petit corps,
Cette force cachée en de faibles ressorts,
Saisissent mon esprit de terreurs sans pareilles,
Et je sens que le monde en toutes ses merveilles
Ne nous présente pas de prodige plus beau
Et de levier plus fort que l’homme et son cerveau.
Et pourtant, au milieu de ce chant de victoire,
Dans mon ame descend une tristesse noire ;
Le regret comme une ombre obscurcit mon front nu,
Et je ne songe plus qu’à pleurer le vaincu,