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le génie des symboles répugne essentiellement à l’esprit français, soit que l’art au berceau ait déjà commencé à remplacer la foi.

Cette transformation de la poésie, qui d’ecclésiastique devint séculière, ne s’est pourtant pas opérée sans combats ; il reste assez de monumens de cette lutte pour qu’elle soit hors de doute. La partie religieuse et sacerdotale qui a promptement péri dans l’épopée française, était celle qui était le plus conforme au génie de la vieille Allemagne ; c’est aussi celle qui a été le mieux conservée dans les traductions tudesques, faites par les poètes de l’époque des Hohenstauffen. Le Lohengrin et les deux poèmes d’Eschembach, le Titurel, le Parceval, tous composés d’après d’anciennes versions françaises du cycle d’Arthus, ont fidèlement gardé le sens pieux des originaux. C’est là que l’on retrouve ces généalogies de rois servans de l’amour divin, qui dans une éternelle macération veillent sur le mont sauvage, auprès du vase sacré ; le temple symbolique du Saint-Graal, les chevaliers, qui sans vieillir, contemplent, pendant des siècles, la goutte de sang du Calvaire. Tout ce mysticisme, si promptement aboli dans les imaginations champenoises et normandes, est surtout frappant dans le Titurel, poème à la fois enfantin et gigantesque, dont l’auteur pouvait dire :

« Celui qui le lira, ou l’entendra, ou le copiera, son ame sera emparadisée. »

C’est dans ce même poème que l’on retrouve cet élan d’amour religieux qui semble une variante du fameux chant de saint François d’Assise :


« L’amour dompte le chevalier sous son casque ;
L’amour ne veut point de partage dans sa gloire ;
L’amour comprend le grand et le petit ;
L’amour a sur la terre et dans le ciel Dieu pour compagnon ;
L’amour est partout, hormis dans l’enfer. »


Ici l’épopée chevaleresque se rencontre avec les hymnes de l’église, avec le génie de saint Bernard, de saint Thomas, de saint Louis ; poésie immaculée de l’église militante, de l’amour divin ; commencée en France, continuée en Allemagne, elle devait trouver sa forme achevée dans le pays de la papauté et dans le paradis de Dante.

Lorsqu’à l’amour de Dieu, qui faisait le fonds de ces traditions.