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teur eût pu cependant tenter de nouveaux succès, car tous ceux qui ont été admis à lire ses pièces inédites, s’accordent à dire qu’elles brillent par des beautés d’un ordre élevé. Scipion, Éléonore de Bavière, ses premiers essais ; Don Carlos, dont on loue l’action pathétique et le style nerveux ; Charles Ier, dont la représentation fut arrêtée par la police de l’empire, et que M. de Talleyrand, dit-on, voulait faire jouer à la restauration ; Debora, qui fut écrite sous le canon de l’invasion ; Jeanne d’Arc à Orléans, précédée d’un prologue entre Voltaire et Shakspeare, et qui n’a pas été jouée faute d’actrice ; telles sont les tragédies que laisse M. Raynouard et qui doivent être prochainement publiées. Il en sera de même de ses recherches sur les Champs de Mai, et du poème qui a pour titre : Fénelon et le duc de Bourgogne. On sait, par les fragmens lus à l’Institut, que ce dernier opuscule a pour sujet une visite aux Invalides, pendant laquelle l’archevêque de Cambrai donne à son élève une leçon d’histoire, d’après les tableaux qu’ils rencontrent. Une épopée intitulée Judas Machabée, qui rappelle, dit-on, la grandeur solennelle de la Bible, a aussi préoccupé long-temps M. Raynouard. Ce fut son œuvre privilégiée, et aussi sa dernière tentative poétique, bien que des idées d’achèvement et de correction l’aient çà et là préoccupé jusqu’à la mort. Nous ne parlons donc que pour mémoire de deux odes qu’il composa encore, son talent nous paraissant plutôt tragique que lyrique : l’Ode à Camoens (1819), qui fut traduite en portugais par le vieux et célèbre poète exilé Francisco Manoël, que connaissait M. Raynouard ; et l’Ode sur Malesherbes, où l’on trouvait ces vers, à propos de Louis XVI :


Et quel roi fut absous quand on l’osa juger ?
..................
À l’instant où leurs voix ont répondu : Coupable !
Leurs remords disaient : Innocent !


Nous voici arrivés à l’époque scientifique de la vie de M. Raynouard ; mais pourquoi en 1827 donna-t-il sa démission de la place de secrétaire perpétuel, que lors de la mort de M. Suard (1817), il avait désirée et acceptée avec empressement ? Cette résolution est restée un problème pour tout le monde. Quelques personnes assurent que la part prise par M. Raynouard, au sein de l’Académie, à l’adresse sur la liberté de la presse, vers 1826, avait mis quelque acrimonie dans ses rapports avec le pouvoir. Ce dégoût malgré une position indépendante, joint aux menées politiques pour les candidatures, lui fit-il prendre ce dernier et inébranlable parti ? Il nous semble que son caractère libre, son humeur un peu sauvage et âpre au dehors, bien que fort abordable au fond, le mettaient à part de toutes les coteries d’élection, de toutes les intrigues de scrutin.