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sortir de la stupeur où il était tombé que par une étude toute fraîche, la botanique et la poésie latine, dont le double attrait le ranima ; de même, après la mort de sa femme, il ne put échapper à l’abattement extrême et s’en relever que par une nouvelle étude survenante, qui fit, en quelque sorte, révulsion sur son intelligence. En tête d’un des nombreux projets d’ouvrages de métaphysique qu’il a ébauchés, je trouve cette phrase qui ne laisse aucun doute : « C’est en 1803 que je commençai à m’occuper presque exclusivement de recherches sur les phénomènes aussi variés qu’intéressans que l’intelligence humaine offre à l’observateur qui sait se soustraire à l’influence des habitudes. » C’était s’y prendre d’une façon scabreuse pour tenir fidèlement cette promesse de soumission et de foi qu’il avait scellée sur la tombe d’une épouse. N’admirez-vous pas ici la contradiction inhérente à l’esprit humain, dans toute sa naïveté ! la Religion, la Science, double besoin immortel ! À peine l’une est-elle satisfaite dans un esprit puissant, et se croit-elle sûre de son objet et apaisée, que voilà l’autre qui se relève et qui demande pâture à son tour. Et si l’on n’y prend garde, c’est celle qui se croyait sûre qui va être ébranlée ou dévorée.

M. Ampère l’éprouva : en moins de deux ou trois années, il se trouva lancé bien loin de l’ordre d’idées où il croyait s’être réfugié pour toujours. L’idéologie alors était au plus haut point de faveur et d’éclat dans le monde savant : la persécution même l’avait rehaussée. La société d’Auteuil florissait encore. L’Institut ou, après lui, les Académies étrangères proposaient de graves sujets d’analyse intellectuelle aux élèves, aux émules, s’il s’en trouvait, des Cabanis et des Tracy. M. Ampère put aisément être présenté aux principaux de ce monde philosophique par son compatriote et ami, M. Degérando. Mais celui qui eut dès-lors le plus de rapports avec lui et le plus d’action sur sa pensée, fut M. Maine de Biran, lequel, déjà connu par son mémoire de l’Habitude, travaillait à se détacher avec originalité du point de vue de ses premiers maîtres.

Se savoir soi-même, pour une ame avide de savoir, c’est le plus attrayant des abîmes. M. Ampère n’y résista pas. Dès floréal an xiii (1805), un ami bien fidèle, M. Ballanche, lui adressait de Lyon ces avertissemens, où se peignent les craintes de l’amitié redoublées par une imagination tendre :