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vague trace ? M. Maine de Biran lui-même, le métaphysicien profond près de qui il se place, n’a laissé qu’un témoignage imparfait de sa pensée dans son ancien traité de l’Habitude et dans le récent volume publié par M. Cousin. Après M. de Tracy, à côté de M. de Biran, M. Ampère venait pourtant à merveille pour réparer une lacune. M. Cousin a remarqué que ce qui manque à la philosophie de M. de Biran, où la volonté réhabilitée joue le principal rôle, c’est l’admission de l’intelligence, de la raison, distincte comme faculté, avec tout son cortége d’idées générales, de conceptions. Nul, plus que M. Ampère, n’était propre à introduire dans le point de vue, qu’il admettait, de M. de Biran, cette partie essentielle qui l’agrandissait. Lui, en effet, si l’on considère sa tournure métaphysique, il n’était pas, comme M. de Biran, la volonté même, dans sa persistance et son unité progressive ; il était surtout l’idée. Sans nier la sensation, trop grand physicien pour cela, sans la méconnaître dans toutes ses variétés et ses nuances, combien il était propre, ce semble, entre M. de Tracy et M. de Biran à intervenir avec l’intelligence[1], et à remeubler ainsi l’ame de ses concepts les plus divers et les plus grands ! Il l’aurait fait, j’ose le dire, avec plus de richesse et de réalité que les philosophes éclectiques qui ont suivi, lesquels, n’étant ni physiciens, ni naturalistes, ni

  1. Nous pourrions citer, d’après les plus anciens papiers et projets d’ouvrages que nous avons sous les yeux, des preuves frappantes de cette large part faite à l’intelligence qui corrigeait tout-à-fait le point de vue profond, mais restreint, de M. de Biran, et l’environnait d’une extrême étendue. Ainsi ce début qu’on trouve à un plan d’une histoire de l’intelligence humaine : « L’homme, sous le point de vue intellectuel, a la faculté d’acquérir et celle de conserver. La faculté d’acquérir se subdivise en trois principales : il acquiert par ses sens, par le déploiement de l’activité motrice qui nous fait découvrir les causes, par la réflexion qu’on peut définir la faculté d’apercevoir des relations, qui s’applique également aux produits de la sensibilité et à ceux de l’activité. On aperçoit des relations entre les premiers par la comparaison, entre les seconds par l’observation des effets que produisent les causes. On doit donc diviser tous les phénomènes que présente l’intelligence en quatre systèmes : le système sensitif, le système actif, le système comparatif, et le système étiologique. » Dans un résumé des idées psychologiques de M. Ampère, rédigé en 1811 par son ami M. Bredin, de Lyon, je trouve : « On peut rapporter tous les phénomènes psychologiques à trois systèmes : sensitif, cognitif, intellectuel. » Ce système cognitif et ce système intellectuel, qui semblent un double emploi, sont différens pour lui, en ce qu’il attribue seulement au système cognitif la distinction du moi et du non-moi, qui se tire de l’activité propre de l’être d’après M. de Biran : il réservait au système intellectuel, proprement dit, la perception de tous les autres rapports. Quoique cela manque un peu de rigueur, la lacune signalée par M. Cousin chez M. de Biran était au moins sentie et comblée, plutôt deux fois qu’une.