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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

Sciences naturelles[1]. Lorsque M. Ampère reproduisit cette vue en 1832, à son cours du Collége de France, M. Cuvier, contraire en général à cette manière raisonneuse d’envisager l’organisation, combattit au même Collége, dans sa chaire voisine, le collègue qui faisait incursion au cœur de son domaine ; il le combattit avec ce ton excellent de discussion, que M. Ampère, en répondant, gardait de même, et auquel il ajoutait de plus une expression de respect, comme s’il eût été quelqu’un de moindre : noble contradiction de vues, ou plutôt noble échange, auquel nous avons assisté, entre deux grandes lumières trop tôt disparues ! Si une observation de M. Geoffroy Saint-Hilaire avait suggéré à M. Ampère ses vues sur l’organisation des insectes, la découverte de M. Gay-Lussac sur les proportions simples que l’on observe entre les volumes d’un gaz composé et ceux des gaz composans, lui devenait un moyen de concevoir, sur la structure atomique et moléculaire des corps inorganiques, une théorie qui remplace celle de Wollaston[2]. De même, une idée de Herschell, se combinant en lui avec les résultats chimiques de Davy, lui suggérait une théorie nouvelle de la formation de la terre. Cette théorie a été lucidement exposée dans cette Revue même des Deux Mondes, en juillet 1833. On y peut prendre une idée de la manière de ce vaste et libre esprit : l’hypothèse antique, retrouvée dans sa grandeur ; l’hypothèse à la façon presque des Thalès et des Démocrite, mais portant sur des faits qui ont la rigueur moderne.

Après avoir tant fait, tant pensé, sans parler des inquiétudes perpétuelles du dedans qu’il se suscitait, on conçoit qu’à soixante et un ans, M. Ampère, dans toute la force et le zèle de l’intelligence, eût usé un corps trop faible. Parti pour sa tournée d’inspecteur-général, il se trouva malade dès Roanne ; sa poitrine, sept ans auparavant, apaisée par l’air du midi, s’irritait cette fois davantage : il voulut continuer. Arrivé à Marseille, et ne pouvant plus aller absolument, il fut soigné dans le collége, et on espérait prolonger une amélioration légère, lorsqu’une fièvre subite au cerveau l’emporta, le 10 juin 1836, à cinq heures du matin, entouré

  1. Annales des Sciences naturelles, tom. ii, pag. 293. M. N… n’est autre que M. Ampère.
  2. On la trouve dans la Bibliothèque universelle, tome xlix, et en analyse dans un rapport de M. Becquerel (Revue encyclopédique, novembre 1832).