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nirs des auditeurs le disaient à sa place. Quand l’automne approchait, le trouvère était au bout de son récit ; il partait enrichi des présens de son hôte. C’étaient des vêtemens précieux, de belles armes, des chevaux bien enharnachés. Quelquefois il était fait chevalier, s’il ne l’était déjà. Souvent il emportait avec lui l’amour de la châtelaine ; puis, lui absent, le manoir avait perdu sa voix ; tout retombait, jusqu’à la saison nouvelle, dans le silence et la monotonie accoutumée.

La carrière fabuleuse des héros du cycle carlovingien se terminait en général dans le couvent, en sorte que cette épopée finissait comme avait commencé celle d’Arthus, c’est-à-dire par la légende. Charlemagne est canonisé. Le géant des Sarrasins, Fierabras se convertit et monte au ciel. Au déclin de leur vie, Guillaume d’Orange, Renaud de Montauban, Oger le Danois, se font moines de l’ordre de Saint-Benoît. C’était aussi la fin ordinaire des trouvères. Quand l’haleine venait à leur manquer, trompés par leur gloire éphémère, harassés et contrits, ils se réfugiaient dans le cloître. Tout sortait de l’église ; mais aussi tout y rentrait. Le poète y suivait son héros.

iii.

C’est une grande question de savoir quelle fut la première origine de ces poèmes. Assurément, les traditions ont flotté long-temps dans les esprits, avant de prendre la forme qu’elles ont revêtue au xiie siècle. Dans ce chaos, il y a des parties celtiques, bretonnes, provençales, frankes, bysantines, arabes, païennes, chrétiennes, musulmanes. De là, avec d’égales raisons, on peut lui attribuer des commencemens très différens, et chacun peut, ici, à son gré, vanter son clocher. L’épopée au moyen-âge est aussi complexe que l’architecture même. Tous les peuples ont travaillé au plan de la cathédrale ; tous ont coopéré par quelque point à l’invention de l’épopée catholique et féodale ; à l’égard de la forme, il était naturel qu’elle fût d’abord imposée par les poètes les plus précoces, les plus industrieux dans le mécanisme de l’art, surtout les plus voisins des traditions de l’antiquité. Le témoignage des Meistersaenger[1] et le savant travail de M. Fauriel ne permet-

  1. « De Provence en terre tudesque nous sont venues les vraies traditions. » Parzival,