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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

des termes purement relatifs, le droit étant toujours au plus fort. Mais ceux qui vont au-devant de la ruine et tendent la main à l’infamie pour ce qu’ils croient sincèrement être la cause de leur Dieu ou de leur roi, ceux-là, comme le dit Marc-Antoine dans Shakspeare, de Brutus et Cassius, sont des hommes honorables.

« Mon père, après plusieurs années de vicissitudes, recueillit une assez bonne provision d’expérience ; et c’est à cela que je dois le peu de sagesse auquel je puis prétendre. Je n’ai pas rencontré beaucoup de gens qui connussent les hommes comme lui. Mais une probité obstinée, et une irascibilité aveugle, indomptable, sont des défauts sans remède ; aussi je suis né le fils d’un homme fort pauvre. Pendant les six ou sept premières années de ma vie, mon père fut le jardinier d’un digne petit propriétaire dans le voisinage d’Ayr. S’il était resté dans cette position, ma perspective était un petit emploi en sous-ordre dans quelque ferme des environs. Mais son vœu le plus cher était de garder ses enfans sous ses yeux, jusqu’à ce qu’ils pussent discerner le bien du mal. Aussi, avec l’assistance de son généreux maître, mon père s’aventura à prendre à bail une petite ferme.

« À cette époque, je n’étais le favori de personne. J’avais une bonne mémoire, une santé robuste et une piété de routine, comme un enfant que j’étais. Avec quelques coups de férule, mon maître fit de moi un savant Anglais ; et à dix ou douze ans, j’étais docteur ès-substantifs, verbes et particules. Je dus aussi beaucoup, dans mon enfance, à une vieille femme qui demeurait avec nous, et qui était d’une ignorance, d’une crédulité et d’une superstition remarquables. Nul, dans le pays, n’avait une plus vaste collection de contes et de chansons sur les diables, les fées, les esprits, les sorciers, les magiciens, les feux follets, les lutins, les feux Saint-Elme, les fantômes, les apparitions, les charmes, les géans, les tours enchantées, les dragons, et autres tromperies. Non-seulement ses récits cultivèrent en moi les germes cachés de la poésie ; mais ils eurent un tel effet sur mon imagination, que même à présent, dans mes courses nocturnes, j’ai souvent malgré moi l’œil sur certains endroits suspects, et bien que personne ne soit plus sceptique en de telles matières, il me faut parfois un effort de philosophie pour chasser ces vaines terreurs…

« Les deux premiers livres que je lus seul furent la Vie d’Annibal