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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

certain point. Auparavant j’avais de l’orgueil ; mais il le dirigea dans une voie convenable. Sa connaissance du monde était de beaucoup supérieure à la mienne, et j’étais tout attention pour m’instruire. C’est le seul homme que j’aie trouvé plus fou que moi, lorsqu’une femme était son étoile ; mais il parlait d’amour illicite avec la légèreté d’un marin, ce que jusque-là j’avais regardé avec horreur. Ici l’amitié me rendit un mauvais service ; et la conséquence fut que, peu de temps après que je repris la charrue, j’écrivis la Bienvenue du poète[1]. Dans cette ville, ma lecture ne s’accrut que de deux volumes dépareillés de Pamela et d’un de Ferdinand comte Fathom, qui me donna une idée des romans. Excepté quelques pièces religieuses qui ont été imprimées, j’avais abandonné la poésie ; mais, ayant rencontré les poèmes écossais de Fergusson, je fis de nouveau résonner les cordes sauvages de ma lyre, avec la vigueur de l’émulation. Quand mon père mourut, tout son bien fut la proie des chiens d’enfer qui rôdent dans le chenil de la justice. Nous ramassâmes à grand’peine, dans la famille, quelque peu d’argent avec lequel mon frère et moi nous prîmes une ferme du voisinage. Mon frère n’avait ni mon imagination écervelée, ni ma monomanie sociale et amoureuse ; mais, en bon sens et en sagesse, il m’était de beaucoup supérieur.

« J’entrai dans cette ferme avec de belles résolutions. Allons, je serai raisonnable ! Je lus les livres à l’usage des fermiers ; je calculai nos récoltes ; je suivis les marchés ; enfin, en dépit « du diable, du monde et de la chair, » je crus que je deviendrais un homme sage. Mais la première année, pour avoir acheté de mauvaises semences, la seconde, par une moisson tardive, nous perdîmes la moitié de nos récoltes. Cela renversa ma sagesse, et je retournai « comme le chien à ce qu’il avait rendu, et comme la truie qu’on avait lavée et qui se vautra dans la mare. »

« Je commençais à être connu dans le voisinage pour un rimeur. Celle de mes élucubrations poétiques qui vit le jour la première fut une lamentation burlesque sur une querelle de deux révérends calvinistes, tous deux personnages de ma Holy fair. Je me doutais que la pièce avait quelque mérite ; mais, pour éviter malheur, j’en donnai une copie à un ami très curieux de ces sortes de choses, et

  1. Intitulée depuis : Bienvenue de Rob le rimeur à son enfant bâtard.