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ACADÉMIE FRANÇAISE.

pas, et voici pourquoi : les livres de M. de Tracy appartiennent exclusivement à la science philosophique. Or, M. Guizot, en parlant du xviiie siècle, n’a jamais franchi la limite des généralités académiques, et n’a pas dit un mot qui intéressât directement la science. Il était donc naturel qu’il traitât M. de Tracy comme il avait traité le xviiie siècle, c’est-à-dire qu’il le suivît sur les bancs de la constituante, du sénat et de la pairie, sans essayer de définir et de caractériser ses travaux philosophiques. S’il eût entrepris d’analyser les élémens d’idéologie de M. de Tracy, il y aurait eu contradiction évidente entre cette analyse et celle du xviiie siècle. Je vais plus loin : la philosophie de M. de Tracy, séparée de la philosophie du xviiie siècle, n’eût pas été intelligible, ou du moins n’eût été comprise que des hommes spéciaux, et eût fait tache dans le discours du récipiendaire. M. Guizot, après avoir escamoté la première partie de son sujet, ne pouvait donc se dispenser d’escamoter la seconde. Il a circonscrit le thème de son éloge dans les étroites limites de la biographie ; il nous a montré M. de Tracy débutant, comme Descartes, dans la carrière des armes avant d’aborder l’étude de la philosophie ; il nous a parlé du château de ses aïeux ; il nous a récité jusqu’à la devise inscrite au front de ce château ; mais après avoir épuisé la biographie extérieure, la vie sociale de M. de Tracy, il n’a pas entamé la biographie intellectuelle, la biographie du philosophe. Il nous l’a donné pour un admirateur de Rousseau, de Montesquieu et de Voltaire ; mais ce renseignement, réduit à sa juste valeur, ne signifie absolument rien ; car aucun de ces trois grands noms n’appartient à la philosophie proprement dite. Cette lacune était facile à prévoir, mais il est utile de la signaler.

Cependant malgré la généralité académique de ses périodes, M. Guizot a trouvé moyen de semer, chemin faisant, plusieurs erreurs assez singulières. Ainsi, par exemple, il accuse la philosophie du xviiie siècle d’avoir mis en doute l’existence de Dieu, l’existence même de l’homme, et il ne balance pas à expliquer ces doutes affligeans par la tendance constante de cette philosophie, c’est-à-dire par le sensualisme. Or, si M. Guizot eût pris la peine de consulter, sur ces deux questions, quelqu’un des élèves de l’École normale, à laquelle tout récemment il se proposait pour exemple et pour encouragement, il aurait appris que cette double