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RŒDERER.

faits et mieux connaître quelques incidens de cette grande époque. M. Rœderer, resté capable et actif, malgré ses soixante-seize ans, ne demeura point enseveli dans sa retraite. Il en fut tiré pour entrer dans la chambre des pairs, où il remplit ses devoirs avec le zèle qu’il mettait à tout et sa distinction ordinaire. Lorsque le gouvernement nouveau, né de la pensée du siècle et ne pouvant dès-lors pas la craindre, rétablit l’Académie des Sciences morales et politiques, que les ombrages de l’empire avaient supprimée, M. Rœderer fut rappelé dans son sein. À part un très petit écrit qui a fait trop de bruit pour le passer sous silence, et qui était une fausse interprétation du système représentatif par un homme qui avait mieux compris la révolution démocratique de 1789 et la révolution dictatoriale de 1800, que la révolution de 1830, destinée à fonder le gouvernement monarchique parlementaire, à part cet écrit, M. Rœderer se livra uniquement aux travaux de la chambre et de l’Académie. Assidu à vos séances, il les animait par ses spirituelles discussions et par ses attrayantes lectures. C’est au milieu de vous qu’il a produit ce livre charmant sur l’influence de la société polie, qui semble avoir été composé avec la finesse d’observation d’une femme et écrit avec l’imagination d’un jeune homme. Dans cet ouvrage d’un mérite si particulier, M. Rœderer a saisi ce qui se succède sans se fixer et se laisse plus deviner qu’atteindre, le mouvement intime de la société. Il a surpris l’action de la conversation sur les mœurs, et du grand monde sur la langue. Il a pénétré dans les couches les plus profondes de cette société qui a produit les merveilles du temps de Louis XIV ; et il a montré où et par les soins de qui a poussé cette fleur de politesse dont le parfum s’est répandu sur tout le grand siècle. Il a fait l’histoire de cet hôtel de Rambouillet, qui, loin d’être une école de pédantisme, fut le modèle suivi du bon goût. Il a cherché comment se forma ce langage précieux qui, employé par les gens d’esprit, ne fut qu’élégant, et qui, exagéré par les sots, devint ridicule. Il a signalé les phases de cette réforme, qui, en donnant plus de mesure et de délicatesse au style, lui laissa moins d’indépendance et d’abandon, et corrigea ce qui lui restait de son vieux désordre et de son ancienne grossièreté, aux dépens de la hardiesse de ses formes et de la naïveté originale de ses expressions. Il a saisi ce qu’il y avait de plus fin et de plus subtil dans ces temps encore plus éloignés de nous par les mœurs que par les années ; et ce vieillard, qui sortait des révolutions et des affaires, semblait avoir vécu dans la société exquise dont il retraçait si vivement les souvenirs, et avoir été un contemporain de Mme de Sévigné et de Mme de Maintenon par la grace de son esprit et le naturel de son talent.