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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

L’apalte des vins, eaux-de-vie et liqueurs, qui n’était d’abord qu’à 1,250,000 piastres, a été achetée dernièrement à 1,500,000 ; ce n’est pas que l’importation augmente, mais c’est que la taxe suit une progression arbitraire, malgré le tarif de 1816 ; elle a atteint aujourd’hui le taux monstrueux de 200 pour 100.

C’est avec le miri qu’on paie la plus grande partie des récoltes, et le surplus en bons sur le trésor ; cette opération financière (si toutefois elle mérite ce nom) est très avantageuse à l’état, car il ne débourse presque rien, et réalise d’assez beaux bénéfices sur la vente des produits.

Les bénéfices de plusieurs fabriques ne sont pas portés aux recettes ; c’est que leurs produits ne sont pas vendus, et servent pour l’armée. Ce sont les fabriques de drap, de tarbouchs, d’armes, de poudre, et en général toutes les fabriques situées à la citadelle[1].

OBSERVATIONS GÉNÉRALES

Il y a en France 35 millions d’habitans, et le budget est de 1,600 millions de francs, il y a en Égypte 2,00,000 habitans, et le budget est de 311 millions de piastres, ou 78 millions de francs environ. L’individu paie donc en France 41 francs, et en Égypte, 11 francs seulement, et pourtant le budget égyptien nourrit au moins 1/6 de la population (l’armée, les fabriques, les chantiers, les fellahs levés pour les travaux publics, les écoles, le clergé, les employés des administrations) ; ce qui n’a pas lieu en France, où l’on ne compte guère que 1/30 de la population vivant du budget. Ce résultat n’étonnera pas, si l’on fait attention qu’une journée de travail ne coûte en Égypte que 2 piastres (52 cent.), tandis qu’elle coûte en France 1 fr. 50 cent. ; qu’un soldat ne coûte que 600 piastres par an (150 francs), tandis qu’il coûte en France 700 francs. Ne faut-il pas en conclure que, plus les impôts et les salaires sont élevés, plus un peuple est riche et heureux ?

    la culture et la vente des produits ; mais le pacha a très bien senti : 1o que l’ensemble du travail agricole avait besoin d’être réglé et ordonné, et que, si l’on abandonnait le fellah à lui-même, il se laisserait aller à l’incurie et à la paresse, et ne planterait que des fèves et du doura ; 2o que, par conséquent, les droits à l’exportation deviendraient illusoires et impossibles ; 3o que, quelque élevés que fussent ces droits, il n’équivaudraient pas aux bénéfices faits sur la vente des produits, et exciteraient en pure perte les plaintes du commerce, qu’ils gêneraient et entraveraient nécessairement ; 4o qu’il faudrait ajouter à tout cela les inconvéniens de la contrebande, plus difficile à réprimer (car elle serait faite par des Européens) que la vente frauduleuse des produits, que l’on peut regarder comme presque nulle ; car, en vérité, les fellahs ne sauraient trop à qui s’adresser pour vendre leurs cotons ou leurs indigos.

  1. À l’exception des filatures, les fabriques d’Égypte ont pour objet la confection du matériel militaire. Il semble que l’on n’ait appelé l’industrie d’Europe que pour la mettre au service de la guerre. C’est un reproche que l’on peut adresser à Mohammed-Ali ; mais il répond que son système militaire lui a été indispensable, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour lancer l’Égypte, et avec elle l’Orient, dans la carrière du progrès moderne.