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REVUE. — CHRONIQUE.

sans troubler, chez les détenus, le recueillement qui est nécessaire pour le recevoir avec fruit.

Une grande simplicité dans les moyens d’exécution, une surveillance facile, point de révoltes à comprimer, point d’évasions à craindre, les associations coupables rendues impossible entre des hommes complètement séparés les uns des autres, la contagion détruite par l’isolement, la nécessité du travail et de la religion, seuls refuges où puissent s’abriter des ames tourmentées par la douleur ou par l’ennui, voilà ce qui recommande à nos yeux le système de Pensylvanie. Quant au système d’Auburn, la nécessité des châtimens corporels rend son adoption impossible pour la France. On peut, il est vrai, changer les châtimens corporels en une détention solitaire dans une cellule ténébreuse : c’était le plan du philantrope Howard, en 1773 ; mais ce système ne supprime pas tous les dangers qui peuvent naître de la communauté tacite des condamnés ; de plus, à la place d’un châtiment, il offre en quelque sorte un moyen de distraction et de repos. Ce qui fait l’horreur salutaire de la cellule de Pensylvanie, c’est que le condamné, en y entrant, sait que la porte en est fermée sur lui jusqu’à l’accomplissement de la peine ; mais pour le détenu qui se lassera de travailler en commun, et qui troublera l’ordre, quelques jours passés dans la cellule obscure, loin de troubler son ame, ne seront qu’une satisfaction donnée à sa paresse et à ses mauvais penchans. Si l’on trouve l’isolement absolu de Pensylvanie trop dur, si l’on craint, malgré les preuves contraires qui nous viennent des États-Unis, que la santé physique et morale des détenus ne résiste pas à une épreuve si forte, ce qu’on peut faire, c’est de l’adoucir en rendant les visites des employés et des étrangers plus fréquentes. Mais ce qu’il faut éviter par dessus tout, c’est l’aveuglement d’une sensibilité puérile, qui dénaturerait le but de la réforme par des concessions imprudentes à l’esprit de philantropie et qui laisserait ainsi subsister la moitié des abus dont nous souffrons.

La réforme doit être complète pour être sûre. Elle doit embrasser une foule de points que la raison publique, appuyée des résultats d’études profondes, aura bientôt résolus. C’est un scandale, dans notre siècle, que de voir le régime actuel de nos prisons. Le peuple le plus humain et le plus civilisé de la terre est celui qui renferme de ce côté le plus de fléaux. C’est un fait connu de tout le monde que nos prisons, malgré des améliorations récentes, n’engendrent que l’impunité, la corruption et l’expérience désastreuse du crime. Lisez le rapport de M. Bérenger, vous verrez que le nombre annuel des récidives monte à près de 9,000 ; il a doublé depuis six ans ; 110,000 individus, de tout âge et de tout sexe, entrent annuellement dans les prisons ; 40,000 libérés, soumis à la surveillance de la haute police, menacent notre ordre social, tandis que 40,000 autres individus, voleurs ou assassins de profession, cachent leurs crimes dans l’ombre, et réussissent à déjouer toutes les poursuites. Ajoutez 75,000 mendians, et au-delà de 1,830,000 indigens, que la misère livre sans défense aux séductions criminelles qui les entourent ; voilà la plaie qui dévore notre société. Pour lutter contre ce péril imminent, nous avons un système pénitentiaire qui l’aggrave de jour en jour. Point de séparation entre les détenus ; tous sont confondus pêle-mêle, nuit et jour, innocens ou coupables, accusés, prévenus ou condamnés, enfans ou vieillards, quelquefois même sans distinction de sexe ; dans le plus grand nombre des prisons, le travail est nul ; dans d’autres, les deux tiers du produit d’un travail machinal et presque libre sont absorbés