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REVUE. — CHRONIQUE.

tique d’un barbier est le rendez-vous de la jeunesse oisive, et que l’opposition contre le gouvernement impérial s’y traduit en railleries et en bravades insensées. Cette circonstance lui inspire une ruse de police assez bizarre, c’est de faire enlever, pendant la nuit, le barbier, et de s’installer à sa place : afin de pouvoir noter les dangereuses indiscrétions du lendemain. Après cette expédition qui ouvre la pièce, la place publique redevient assez obscure et silencieuse pour protéger un mystère d’amour. La porte dérobée d’un lieu suspect donne passage à Chœréa, tribun des gardes prétoriennes, sur qui la maîtresse de l’empereur, Messaline, a laissé tomber un de ses regards lascifs. Mais les tendres adieux sont interrompus tout à coup par un grand bruit. Au sortir d’une orgie, trois jeunes patriciens se donnent le plaisir de chasser à coups de fouet les soldats du guet et les manans attardés. Ces dignes représentans de la classe abâtardie qui n’a su conserver des anciens Romains que le nom et l’insolence, arrêtent Chœréa, et pour le disposer à la confiance, se font connaître eux-mêmes par de longs récits que le public écoute, parce qu’ils sont étincelans d’esprit, mais que le tribun devrait subir avec moins de complaisance à cette heure, et au sortir d’un rendez-vous qui le rend en quelque sorte coupable du crime de lèse-majesté. Le jour se lève. La place publique s’emplit alors et prend un aspect qui dramatise assez heureusement le train journalier de la vie antique. Des cliens se rendent par troupes à l’audience du patron ; les élégans se dirigent vers les maisons de bains ; depuis l’esclave, jusqu’à l’agent de l’autorité, chacun reprend machinalement le rôle de la veille qui sera celui du lendemain. Quant à la populace, on la voit se distribuer en groupes, et suivre de l’œil les dés qui roulent sur les dalles du Forum. Pendant ce temps, la boutique du faux barbier s’est ouverte, et les trois étourdis y sont entrés. L’un d’eux, l’épicurien Lépidus, se fait lire les actes diurnaux, tandis qu’il livre son menton à l’épilateur, et chaque nouvelle concernant l’empereur et les affaires publiques lui fournit l’occasion d’un sarcasme et d’une réflexion injurieuse. Il ne tarde cependant pas à sentir qu’il a donné tête baissée dans un piége : sa dernière ressource est de tromper par le suicide la joie cruelle de l’affranchi Protogène ; il adresse à ses amis de touchans adieux, et va se faire ouvrir les veines dans un bain parfumé, se résignant ainsi, en vrai disciple d’Épicure, au sommeil sans rêve qui doit le reposer de la vie. Une émotion pénible dont il est difficile de se défendre, est bientôt effacée par le tumulte populaire. Les clameurs, les fanfares, annoncent la rentrée triomphale de l’empereur après ses prétendus exploits dans les Gaules. On remarque en cet instant un noble Gaulois qui perce la foule et dispute une place pour une jeune et belle femme. Caïus César paraît enfin. Il est debout sur un char traîné par des captifs, et couronné par la Victoire, dont Messaline a emprunté les attributs mythologiques. Des enfans sèment des fleurs sous ses pas ; des jeunes filles chantent des vers à sa louange, et le cortége, traversant lentement le Forum, se dirige vers le Capitole, tandis que des licteurs, conduits par Protogène, portent le corps de Lépidus aux gémonies.

Telle est la conception que M. Dumas a qualifiée de prologue. C’est plutôt, selon nous, un cadre comique où passent successivement tous les personnages du drame qui doit suivre ; c’est une exposition en dehors de la pièce. Ce premier tableau est animé sans confusion, et vrai sans trivialité. Le contraste entre la réalité pittoresque et les souvenirs classiques, entre la Rome de Suétone et celle de Corneille, présentait une antithèse piquante que M. Dumas