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Si la philosophie fut puissante au dernier siècle, cette prépondérance implique et démontre la faiblesse du catholicisme et du protestantisme pendant la même époque, en ce qui touche l’influence sociale. La raison l’emporta sur la foi ; au mot de chrétienté, les historiens et les philosophes substituèrent le mot humanité, et les politiques suivirent, qui voulurent travailler au bonheur du monde, au nom seul du droit.

Depuis ce grand effort accompli par la raison humaine, l’esprit philosophique est resté maître des sociétés, en ce sens que les pouvoirs politiques lui obéissent nécessairement, même quand ils veulent lui résister, car ce n’est plus dans la foi qu’ils vont chercher leurs inspirations. Seulement, depuis vingt-cinq ans, le catholicisme, surtout en France, a fait quelques efforts pour reconquérir la puissance. En 1814, le retour des derniers princes de l’ancienne dynastie lui parut favorable à l’accomplissement de ses desseins, et servit de commencement et d’appui à un mouvement religieux. C’est dans cette entreprise que M. de La Mennais se fit, dès l’origine, une place si considérable.

Mais comment M. de La Mennais, jadis si fougueux catholique, est-il devenu aujourd’hui néo-chrétien ? Voilà ce qu’il faut bien comprendre avant d’examiner son néo-christianisme en lui-même.

Le christianisme, qui est un vaste système d’idées et de passions, a toujours été sollicité par les esprits énergiques qui l’ont embrassé et soutenu, de satisfaire à la vivacité de leurs désirs et de leurs pensées, et il a toujours été en mesure, par son étendue et sa profondeur, d’offrir un aliment aux diverses inclinations des hommes puissans qui l’interrogeaient. Il a des trésors infinis de mysticisme pour nourrir les tristesses et les extases des Fénelon et des Saint-Martin ; il a un bon sens et une solidité de raison qui font prévaloir dans les affaires de la vie les Suger et les Bossuet ; il n’est pas dénué non plus de ces ardeurs enthousiastes et révolutionnaires qui poussent les Pierre l’Ermite et les Savonarola. Tout système qui veut durer parmi les hommes doit avoir cette capacité un peu inconséquente.

Or, il s’est trouvé qu’il était dans l’esprit et la nature de l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence, de chercher surtout pour le christianisme la puissance sociale et de mettre les intérêts politiques au premier rang. Il y avait encore dans son génie des dispositions irrésistibles aux polémiques violentes et aux partis extrêmes. Quand, il y a douze ans, en 1826, M. de La Mennais, ayant à se défendre devant le tribunal de police correctionnelle d’avoir attaqué la déclaration de 1682, se levait