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DU RADICALISME ÉVANGÉLIQUE.

de l’orthodoxie ; il n’y faudrait pas moins qu’un autre saint Bernard, qu’un homme de la trempe du rival et du juge d’Abeilard ; il y faudrait son génie, sa vaste discipline, sa fougue, sa foi. Oui, faites revivre le moine de Citeaux pour combattre le prêtre breton : autrement renoncez à des polémiques où la colère ne saurait remplacer la puissance où vous-mêmes vous vous laissez envahir par la contagion de la philosophie du siècle.

Pour nous, qui n’avons point à connaître M. de La Mennais du point de vue catholique, mais à l’apprécier du point de vue philosophique, qui depuis plusieurs années avons suivi avec intérêt les développemens de sa pensée, nous nous proposons de soumettre à l’analyse son néo-christianisme, tel qu’il le produit aujourd’hui dans le Livre du Peuple. Sil nous arrive d’en signaler les ellipses, les inconséquences et les erreurs au milieu de sentimens généreux et de nobles idées toujours revêtues d’un magnifique langage, on aurait tort de penser que ces critiques puissent porter la moindre atteinte à notre admiration pour le talent de l’auteur : tout au contraire, il faudra reconnaître dans cette liberté que nous prendrons, un témoignage de la haute valeur que nous attribuons à ses travaux et à ses écrits : M. de La Mennais, même en faisant la part de ses erreurs, remplit au milieu de nous un rôle nécessaire et une fonction sociale ; ceux qui l’injurient violemment, manifestent, par leur colère, combien peu ils comprennent leur siècle ; c’est à l’impartialité philosophique qu’il convient d’apprécier le néo-christianisme.

Le Livre du Peuple contient la série des propositions suivantes :

i. Toutes choses ne sont pas en ce monde comme elles devraient être. L’ordre primitif de l’humanité a été troublé. L’homme a rompu l’unité de la famille primitive. Il s’est formé des multitudes de sociétés particulières qui, au lieu de s’aider mutuellement, n’ont songé qu’à se nuir. Les nations divisées entre elles, chaque nation s’est encore divisée en elle-même. Quelques-uns ont fait des lois pour leur avantage et les ont maintenues par la force. L’amour excessif de soi a étouffé l’amour des autres. Le lien de la fraternité a été brisé. Pour les uns, le repos, l’opulence, tous les avantages ; pour les autres, la fatigue, la misère et une fosse au bout.

ii. Ces derniers qui souffrent, sont le peuple. Tous ceux qui fatiguent et qui peinent pour produire, dont l’action tourne au profit de la communauté entière, les classes les plus utiles à son bien-être, voilà le peuple. Le peuple c’est le genre humain. S’il disparaissait