mais je ne puis m’empêcher de vous dire que cette obéissance me sera cruelle. Sachez donc que maintenant c’est de vous seule que dépend notre avenir, et prononcez.
— Je ne suis pas surprise de ce que vous me dites, répondit Mlle Darcy ; c’est là le langage de tous les hommes. Pour eux, le moment présent est tout, et ils sacrifieraient leur vie entière à la tentation de faire un compliment. Les femmes ont aussi des tentations de ce genre ; mais la différence est qu’elles y résistent. J’ai eu tort de me fier à vous, et il est juste que j’en porte la peine ; mais quand mon refus devrait vous blesser et m’attirer votre ressentiment, vous apprendrez de moi une chose dont plus tard vous sentirez la vérité : c’est qu’on n’aime qu’une fois dans la vie, quand on est capable d’aimer. Les inconstans n’aiment pas ; ils jouent avec le cœur. Je sais que, pour le mariage, on dit que l’amitié suffit ; c’est possible dans certains cas ; mais comment serait-ce possible pour nous, puisque vous savez que j’ai de l’amour pour quelqu’un ? En supposant que vous abusiez aujourd’hui de ma confiance pour me déterminer à vous épouser, que ferez-vous de ce secret quand je serai votre femme ? N’en sera-ce pas assez pour nous rendre à tous deux le bonheur impossible ? Je veux croire que vos amours parisiennes ne sont qu’une folie de jeune homme. Pensez-vous qu’elles m’aient donné bonne opinion de votre cœur, et qu’il me soit indifférent de vous connaître d’un caractère aussi frivole ? Croyez-moi, Frédéric, ajouta-t-elle en prenant la main du jeune homme ; croyez-moi, vous aimerez un jour, et ce jour-là, si vous vous souvenez de moi, vous aurez peut-être quelque estime pour celle qui a osé vous parler ainsi. Vous saurez alors ce que c’est que l’amour.
Mlle Darcy se leva à ces paroles, et sortit. Elle avait vu le trouble de Frédéric et l’effet que son discours produisait sur lui ; elle le laissa plein de tristesse. Le pauvre garçon était trop inexpérimenté pour supposer que, dans une déclaration aussi formelle, il pût y avoir de la coquetterie. Il ne connaissait pas les mobiles étranges qui gouvernent quelquefois les actions des femmes ; il ne savait pas que celle qui veut réellement refuser, se contente de dire : non, et que celle qui s’explique veut être convaincue.
Quoi qu’il en soit, cette conversation eut sur lui la plus fâcheuse influence. Au lieu de chercher à persuader Mlle Darcy, il évita, les jours suivans, toute occasion de lui parler seul à seul. Trop fière pour se repentir, elle le laissa s’éloigner en silence. Il alla trouver son père, et lui parla de la nécessité de faire son stage. Quant au mariage, ce