Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
REVUE DES DEUX MONDES.

Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine,
Tandis que pas à pas son long troupeau le suit ;
Étoile, où t’en vas-tu dans cette nuit immense ?
Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux ?
Où t’en vas-tu si belle, à l’heure du silence,
Tomber comme une perle au sein profond des eaux ?
Ah ! si tu dois mourir, bel astre, et si ta tête
Va dans la vaste mer plonger ses blonds cheveux,
Avant de nous quitter, un seul instant arrête,
Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux !

Tandis que Bernerette chantait, les rayons de la lune, tombant sur son visage, lui donnaient une pâleur charmante. Cécile et Gérard lui firent compliment de la fraîcheur et de la justesse de sa voix, et Frédéric l’embrassa tendrement.

On rentra à l’auberge et on soupa. Au dessert, Gérard, dont la tête s’était échauffée grâce à une bouteille de vin de Madère, devint si empressé et si galant, que Cécile lui chercha querelle ; ils se disputèrent avec assez d’aigreur, et Cécile ayant quitté la table, Gérard la suivit de mauvaise humeur. Resté seul avec Bernerette, Frédéric lui demanda si elle s’était trompée sur la cause de cette dispute.

— Non, répondit-elle ; ce n’est pas de la poésie que ces choses-là, et tout le monde les comprend.

— Eh bien ! qu’en penses-tu ? Ce jeune homme a du goût pour toi ; sa maîtresse l’ennuie, et pour la lui faire quitter tu n’aurais, je crois, qu’à dire un mot.

— Que nous importe ? Es-tu jaloux ?

— Tout au contraire ; et tu sais bien que je n’ai pas le droit de l’être.

— Explique-toi ; que veux-tu dire ?

— Ma chère enfant, je veux dire que ni ma fortune, ni mes occupations, ne me permettent d’être ton amant. Ce n’est pas d’aujourd’hui que tu le sais, et je ne t’ai jamais trompée là-dessus. Si je voulais faire le grand seigneur avec toi, je me ruinerais sans te rendre heureuse. Ma pension me suffit à peine ; il faudra d’ailleurs, d’ici à peu de temps, que je retourne à Besançon. Sur ce sujet, tu le vois, je m’explique clairement, quoique ce soit bien à contre-cœur ; mais il y a de certaines choses sur lesquelles je ne puis m’expliquer ainsi :c’est à toi de réfléchir et de penser à l’avenir.

— C’est-à-dire que tu me conseilles de faire ma cour à ton ami.

— Non ; c’est lui qui te fait la sienne. Gérard est riche, et je ne le suis pas ; il vit à Paris, au centre de tous les plaisirs, et je ne suis