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gret qu’il se séparait d’une relique de famille qui lui était chère, et quel bien en espérait-il ? Qu’apprendrait-il qui pût le consoler ? Gérard allait voir Bernerette, et si quelque parole, quelques larmes échappaient à celle-ci, ne croirait-il pas nécessaire de n’en rien témoigner ? Frédéric regardait la grille du jardin et s’attendait à tout moment à voir revenir son ami d’un air indifférent. Qu’importe ? Il aurait vu Bernerette ; il était impossible qu’il n’eût rien à dire ; qui sait ce que le hasard peut faire ? Il aurait peut-être appris bien des choses dans cette visite. Plus Gérard tardait à paraître, et plus Frédéric espérait.

Cependant le ciel était sans nuages ; les arbres commençaient à se couvrir de verdure. Il y a un arbre aux Tuileries qu’on appelle l’arbre du 20 mars. C’est un marronnier qui, dit-on, était en fleurs le jour de la naissance du roi de Rome, et qui, tous les ans, fleurit à la même époque. Frédéric s’était assis bien des fois sous cet arbre ; il y retourna, par habitude, en rêvant. Le marronnier était fidèle à sa poétique renommée ; ses branches répandaient les premiers parfums de l’année. Des femmes, des enfans, des jeunes gens, allaient et venaient. La gaieté du printemps respirait sur tous les visages. Frédéric réfléchissait à l’avenir, à son voyage, au pays qu’il allait voir ; une inquiétude mêlée d’espérance l’agitait malgré lui ; tout ce qui l’entourait semblait l’appeler à une existence nouvelle. Il pensa à son père, dont il était l’orgueil et l’appui, dont il n’avait reçu, depuis qu’il était au monde, que des marques de tendresse. Peu à peu des idées plus douces, plus saines, prirent le dessus dans son esprit. La multitude qui se croisait devant lui le fit songer à la variété et à l’inconstance des choses. N’est-ce pas en effet un spectacle étrange que celui de la foule, quand on réfléchit que chaque être a sa destinée ? Y a-t-il rien qui doive nous donner une idée plus juste de ce que nous valons, et de ce que nous sommes aux yeux de la Providence ? Il faut vivre, pensa Frédéric, il faut obéir au suprême guide. Il faut marcher même quand on souffre, car nul ne sait où il va. Je suis libre et bien jeune encore ; il faut prendre courage et se résigner. Comme il était plongé dans ces pensées, Gérard parut et accourut vers lui. Il était pâle et très ému :

— Mon ami, lui dit-il, il faut y aller. Vite ! ne perdons pas de temps.

— Où me mènes-tu ?

— Chez elle. Je t’ai conseillé ce que j’ai cru juste. Mais il y a telle occasion où le calcul est en défaut, et la prudence hors de saison.

— Que se passe-t-il donc ? s’écria Frédéric.