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voyagea pendant sept années, en Allemagne, en Hollande, en France, en Espagne, en Italie, en Angleterre, visitant partout les bibliothèques, les savans, les universités, s’arrêtant partout où il trouvait un nouveau sujet d’instruction, un nouveau lien scientifique. Il avait commencé par étudier la théologie et la médecine ; il étudia ensuite la jurisprudence et la politique. Il revint, à vingt-trois ans, dans son pays, riche de science, plein d’ardeur et d’ambition. Son premier protecteur était mort, et le roi était alors si occupé de ses guerres avec la Suède, qu’il ne put arriver jusqu’à lui. Il entra comme secrétaire chez le conseiller intime Holger Vind. Un jour Vind le chargea de remettre une lettre importante au château. Schumacher au lieu de la confier au gentilhomme de service, la porta directement au roi et lui rappela qui il était. Le roi se souvint de lui avec plaisir, et, dans l’espace de quelques instans, Schumacher étala avec habileté tout ce qu’il avait vu et appris. La dépêche du conseiller intime était d’une nature grave, et Frédéric en paraissait embarrassé. Le futur ministre d’état s’offrit à y répondre et revint une demi-heure après apportant un projet de lettre qui tranchait toutes les difficultés. Le roi le nomma secrétaire de chancellerie ; puis, il lui confia les archives, la bibliothèque. Là, il allait souvent le voir et passait de longues heures à s’entretenir avec lui sur des questions de science et de politique. En 1668, il l’éleva au poste de secrétaire de cabinet, et en mourant il le recommanda à son successeur comme un homme digne d’occuper les plus hauts emplois. Sous le règne de Chrétien V, la faveur de Schumacher ne fit que s’accroître. Il devint en peu de temps ministre et ministre tout-puissant. Il fut nommé conseiller intime, chancelier, et chevalier de l’ordre de l’Éléphant. En 1672, il reçut des lettres de noblesse et changea son nom bourgeois de Schumacher (qui signifie cordonnier) contre le nom de Griffenfeld. Il exerçait non-seulement une influence presque absolue dans son pays, mais il était aimé et considéré dans les autres cours. Hoffmann rapporte que Louis XIV dit au ministre de Danemark Meiercrone : « Je ne saurais m’empêcher de vous témoigner l’estime infinie que j’ai pour le mérite du chancelier de la couronne de Danemark. Il est sans doute l’un des plus grands ministres du monde. » Griffenfeld avait auprès des puissances étrangères des émissaires particuliers qui le prévenaient de tout évènement grave, et il pouvait par là prendre ses mesures d’avance. Un jour il dit au roi : « Il arrivera ici un envoyé d’Autriche qui est chargé de telle mission ; voici ce que vous lui répondrez. » Les choses se passèrent comme il l’avait prévu, et l’envoyé disait en s’en allant : « Quel homme admirable que le roi de Danemark ! Je lui apporte une dépêche qui me semblait devoir exiger de longues négociations, et dès qu’il l’a lue, il y répond sans hésiter. »

Que Griffenfeld, ce fils de marchand de vins, devenu le favori du roi, eût des ennemis, c’est ce qu’il est facile de concevoir. Mais ils se sentaient trop faibles pour l’attaquer. Un évènement imprévu vint leur donner la force dont ils avaient besoin. La reine voulait marier Griffenfeld avec une princesse d’Augustembourg. Les démarches préliminaires étaient faites et le consente-