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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

l’Avis aux Français, car elle est à la fois précise dans son but et dans son expression ; elle est empreinte de résignation et de dignité. Le roi condamné demande à ses juges l’appel au peuple, et il accepte la mort comme un juste châtiment de ses fautes, dans le cas où les nouveaux juges auxquels il se confie, réunis en assemblées primaires, ne casseraient pas la condamnation prononcée contre lui. Cette lettre demeura inutile, et il était facile de le prévoir ; mais du moins elle n’était ni humiliante pour le condamné ni injurieuse pour les juges ; elle exprimait noblement les seules pensées que Louis XVI pût faire entendre.

Le 7 thermidor 1794, André Chénier expiait sur l’échafaud la lettre qu’il avait rédigée pour Louis XVI.

Il est facile de surprendre les transformations laborieuses que le poète a volontairement imposées à son talent. Dans les quelques années qu’il a pu donner au développement et à l’expression de ses pensées, il n’a rien négligé pour atteindre la perfection. La valeur très inégale des œuvres qu’il nous a laissées doit être pour les hommes studieux un sujet d’encouragement et d’émulation ; car il y a entre la pièce adressée au peintre David sur le Serment du Jeu Paume, et les élégies à Camille un intervalle immense, tel qu’il a fallu, pour le franchir, un travail opiniâtre. Envisagée sous ce point de vue, la lecture d’André Chénier est à la fois un exemple et un conseil ; et lors même que l’auteur de la Jeune Captive ne serait pas le précurseur de la nouvelle école poétique dans toutes les questions qui se rattachent à la forme proprement dite, au déplacement de la césure, à l’enjambement, à la richesse de la rime ; lors même que ses œuvres publiées pour la première fois en 1819, c’est-à-dire vingt-six ans après la mort de l’auteur, ne seraient pas la préface naturelle du mouvement littéraire accompli sous la restauration, il serait encore utile de le relire souvent, pour apprendre comment la volonté peut assouplir la parole et faire d’un esprit inexpérimenté un poète consommé. Assurément le serment du jeu de paume offrait à André Chénier un thème riche en développemens de toute sorte. Depuis l’émotion patriotique, depuis l’orgueil du triomphe jusqu’à l’espérance d’un avenir pacifique et glorieux, l’auteur avait à parcourir une route vivante et variée. Mais la première condition d’une pareille entreprise était d’accepter franchement le sujet et de ne pas chercher à l’esquiver. Cet épisode, si populaire et si justement admiré, de la révolution française ne pouvait se prêter aux allusions mythologiques ; toutes les ruses de la diction devaient échouer contre la