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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

Fanny, et il célèbre en même temps la pieuse charité qui appelle sur sa tête la bénédiction des pauvres. Souvent il l’a vue s’attendrir sur la souffrance et panser les plaies du pauvre ; le ciel, en lui rendant la santé, a voulu, sans doute, récompenser sa pitié généreuse, et l’encourager dans son œuvre sainte. Le poète se réjouit de la guérison de Fanny et va même jusqu’à trouver dans la pâleur de sa maîtresse un charme qu’il préfère à sa beauté première. Puis, par un retour imprévu sur lui-même, par un mouvement d’égoïsme bien pardonnable assurément, il lui demande de garder pour lui une part de la pitié qu’elle accorde à la pauvreté souffrante. Puisqu’elle compatit si tendrement aux douleurs qu’elle n’a pas faites, sera-t-elle moins généreuse pour les souffrances qui sont nées d’elle seule ? Épuisera-t-elle sur les pauvres toute la ferveur de son ame et ne tiendra-t-elle pas en réserve, pour celui qui l’aime et qui la bénit chaque jour, une compassion plus active et plus dévouée ? Refusera-t-elle de récompenser, par une fidélité persévérante, une affection sans limites ? À mon avis, la série des pensées qui se succèdent dans cette pièce est pleine de grace et de naturel. Peut-être faut-il regretter que le rhythme adopté par André Chénier, dans l’ode à Fanny malade, n’ait pas une précision suffisante ; mais ce défaut, qui frappe à une seconde lecture, est à peine aperçu lorsque l’esprit parcourt pour la première fois les idées exprimées par le poète ; une sympathie rapide et involontaire ne permet pas de saisir sur-le-champ ce qu’il y a de vague et d’incomplet dans la forme que l’auteur a choisie ; et si cette ode n’est pas une œuvre accomplie de tout point, il faut reconnaître cependant qu’elle mérite de sincères éloges, car elle est d’une grande vérité.

L’ode à Charlotte Corday respire un enthousiasme qui n’a rien de factice. On sent à chaque strophe que l’auteur, en écrivant, cède à l’irrésistible entraînement de sa pensée, et qu’avant de se préoccuper de la beauté littéraire de son œuvre, il écoute la voix d’un devoir impérieux. Il ne chante pas pour chanter ; pour lui, la tâche du poète ne vient qu’après la tâche du citoyen, et, grace aux sentimens patriotiques dont il est animé, toutes les paroles qu’il adresse à Charlotte Corday ont une signification précise ; la rime obéit, mais ne commande jamais. Les souvenirs de la Grèce antique viennent se fondre heureusement dans le portrait de l’héroïne, et se marient à l’histoire contemporaine d’une façon si naturelle que l’esprit s’aperçoit à peine de la distance qui sépare Charlotte Corday d’Harmodius. C’est ainsi seulement qu’il est permis d’associer à l’histoire moderne