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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

l’originalité. C’est là, si je ne m’abuse, un des secrets du génie. Dérober ainsi que l’a fait l’interprète mélodieux de Mlle de Coigny, ce n’est pas commettre un plagiat ni se parer d’une richesse étrangère, C’est conquérir, et légitimer sa conquête en la fécondant. Je ne crois pas qu’il y ait dans notre langue un morceau d’une mélancolie plus touchante, d’une chasteté plus gracieuse que la Jeune Captive, et pourtant le germe de cette ode est contenu dans deux vers de Tibulle. Mais la lecture de l’élégie latine, loin de diminuer mon admiration pour André Chénier, ajoute encore à ma sympathie pour ce génie heureux et privilégié ; car s’il m’est impossible de méconnaître dans Tibulle l’origine de l’ode française, je suis forcé en même temps d’avouer qu’il y a entre l’élégie latine et l’ode française un immense intervalle, et qu’il fallait, pour le combler, une pénétration et une puissance singulières. Envisagée sous ce point de vue, la Jeune Captive mérite une étude sérieuse ; car il ne faut pas admirer seulement la grace qui respire dans toutes les strophes de cette pièce, mais bien aussi l’habileté persévérante avec laquelle André Chénier a su développer l’idée à peine indiquée par Tibulle. La comparaison attentive de l’idée première et de l’œuvre n’entame pas d’une ligne la valeur de l’ode française, et peut servir à montrer comment les génies originaux comprennent la lecture des poètes antiques, comment ils choisissent et métamorphosent la substance dont ils se nourrissent, comment ils encadrent une parole oubliée dans leurs impressions personnelles, et trouvent dans le rajeunissement du passé un caractère indépendant et nouveau.

Les épîtres d’André Chénier inspirent le même regret que ses iambes ; les quatre que nous connaissons, et qui sans doute ne sont pas les seules qu’il ait écrites, ont toutes les qualités du genre, et concilient, avec une heureuse variété, les épanchemens familiers et les retours vers le passé, que le poète ne perd jamais de vue. La première, adressée à MM. Lebrun et de Brazais, offre un touchant éloge de l’amitié. Quoique plusieurs couplets de cette épître rappellent par la forme les maîtres chéris d’André Chénier, la pièce entière est empreinte d’une sensibilité vraie, et le thème choisi par l’auteur pourra paraître nouveau à bien des lecteurs ; car André Chénier ne se borne pas à célébrer les charmes de l’amitié, il insiste avec une conviction éloquente sur les relations étroites du cœur et de l’intelligence, sur la nécessité d’aimer pour comprendre. L’amitié, telle qu’il la conçoit, telle qu’il la célèbre, n’est pas seulement une consolation pour la tristesse mais une leçon indispensable. Non seulement les affections