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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

ou pour y subir une opération de division et de distribution. On ne pourrait tout au plus transporter par cette voie que les produits précieux, tels que les valeurs d’or et d’argent, les perles, les châles, les cafés, le thé et autres denrées de l’Inde et de la Chine.

Il y a des personnes qui pensent que là doit se borner le fruit d’une ligne à vapeur par Suez, et qu’il ne faut pas songer au transport de grosses marchandises. Elles estiment que la communication par l’isthme ne doit servir qu’aux voyageurs, aux dépêches, aux objets que l’on porte avec soi, et que les denrées de poids doivent continuer à suivre la route du Cap de Bonne-Espérance. Elles se fondent : 1o sur les difficultés de la navigation de la mer Rouge ; 2o sur l’obstacle des moussons ; 3o sur la cherté du transport des marchandises par la vapeur. Dans cette pensée, elles poussent à l’établissement du chemin de fer, persuadées qu’aucune autre voie ne saurait être tentée, et qu’il remplit le but que l’on doit se proposer. En cela, leur zèle est louable. Il convient pourtant d’examiner leur opinion, et les trois points sur lesquels elle s’étaie ; car elle ne tend à rien moins qu’à détruire la possibilité de ramener le commerce de l’Inde à sa route naturelle, par le moyen d’une ligne de vapeur.

Il est vrai que la mer Rouge passe pour difficile et dangereuse ; mais c’est à l’inhabileté des navigateurs, plutôt qu’à des dangers réels, que cette réputation doit être attribuée. Les Arabes surtout, ignorans dans l’art de la navigation, et n’ayant que des navires mal construits, ont contribué à présenter la mer Rouge comme la plus périlleuse de toutes les mers. Il n’en est rien cependant ; le Golfe Arabique n’a pas plus d’écueils et de tempêtes que les autres mers du globe. Ses côtes, il est vrai, ont des bancs de sable et des bas-fonds ; mais quelles côtes n’en ont pas ? Au reste, ce préjugé était déjà discrédité lors de l’expédition française en Égypte, puisque les auteurs du mémoire sur le canal des deux mers, invoquant le témoignage et l’autorité de l’amiral Rosily, qui avait parcouru cette mer en 1787, s’exprimaient en ces termes : « Ces dangers, enfantés seulement par l’ignorance des navigateurs anciens et modernes, ont été accrédités par l’erreur générale. En jetant les yeux sur la nouvelle carte de cette mer, on voit que la route tenue par la frégate la Vénus en embrasse la largeur dans tous les sens ; on doit donc rester convaincu que tous les bâtimens de commerce n’y trouveront pas des difficultés d’une autre nature que celles qui sont communes à toutes les mers étroites. Les côtes seules offrent des dangers ; mais le nombre des bons mouillages est si considérable que les marins du pays jettent l’ancre tous les soirs, parce qu’ils ne naviguent jamais de nuit. » Les travaux exécutés depuis par la compagnie des Indes confirment l’opinion des ingénieurs français, et doivent effacer jusqu’à la dernière trace du préjugé qui voudrait faire de la mer Rouge un gouffre inabordable, une véritable Charybde engloutissant navires et navigateurs.

L’objection tirée des moussons n’est pas moins dépourvue de fondement. La régularité des vents qui soufflent sur la mer Rouge, ne saurait être un obstacle à la navigation. La direction de ces vents pousse tantôt de Suez à