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menaçant. En cette affaire d’Espagne, ce qu’elle jugera devoir faire, elle ne le fera que pour veiller à sa propre conservation, et elle pourra, nous le croyons, ne se décider que d’après un ordre d’idées prises dans ses intérêts directs. L’Europe ne se placera pas entre la France et l’Espagne, et les embarras du Rhin n’auront pas lieu tant que la France sera gouvernée par le système de politique générale actuel qui est à la fois, à quelques nuances près, celui des deux ou trois partis modérés qui se livraient bataille dans la discussion de l’adresse.

M. Molé a défendu avec talent la position que le cabinet voulait prendre ; il a été constamment sur la brèche, où l’appelaient à chaque instant des interpellations pressantes, des provocations chaleureuses. C’est à lui que le ministère doit sa victoire dans cette grande lutte, dont l’issue a même dépassé toutes ses espérances. La chambre a voté à une majorité considérable l’amendement de M. Hébert, qui contenait l’approbation du passé, et le ministère a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne voyait là ni l’engagement ni le conseil de rien faire de plus dans l’avenir pour atteindre le but du traité de la quadruple alliance. Pour notre compte, nous acceptons de grand cœur cette interprétation de l’amendement et du vote de la chambre ; nous avons fait plus, nous avons essayé de prouver, d’après tous les incidens et toutes les péripéties de la discussion, que c’était ainsi qu’il fallait interpréter l’un et l’autre. Maintenant nous nous demandons avec anxiété si l’opinion publique de l’Europe, si l’Espagne constitutionnelle, si la cour et le camp de don Carlos, si la diplomatie carliste accréditée auprès de la plupart des cabinets étrangers, ne seront pas autrement affectés, et si l’on ne verra pas dans l’adoption de l’amendement la confirmation sans réserve, à tout hasard, d’une politique qui a certainement fait plus que des vœux, qui a donné plus que des sympathies, mais qui n’a pas encore sérieusement embarrassé don Carlos. À cet égard l’avenir seul peut répondre. Cependant le principal organe du parti légitimiste a déjà anticipé sur sa décision, et le même soir il s’est formellement emparé du vote de la chambre, pour la remercier d’avoir renoncé, au nom de la France, à empêcher une restauration carliste en Espagne, si l’accomplissement de ce but exigeait d’autres mesures que le rigoureux blocus de la frontière des Pyrénées. C’est un grand malheur assurément que la possibilité d’une interprétation pareille ; mais nous avons trop de confiance dans les lumières et la loyauté de M. Molé, pour ne pas croire qu’il lui donnerait, au besoin, un démenti solennel. Nous dirons plus, nous croyons que le ministère est obligé, dès aujourd’hui, à faire quelque chose pour l’Espagne, plus ou moins, ceci ou cela ; mais quelque chose de nouveau, quelque chose de suffisamment efficace, et c’est un conseil que lui donnent maintenant plusieurs de ceux qui ont adopté l’amendement Hébert. Et comment ne le lui donnerait-on pas ? Il y a dans le parti doctrinaire, qui a voté en masse pour le ministère, des noms très compromis sur l’intervention et pour l’intervention ; il y a des hommes qui restent convaincus que ç’a été une faute de ne pas intervenir en 1835, et qui ont cent fois dit, écrit, imprimé, comme M. Du-