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DE LA CHEVALERIE.

les prétendans, pour ceux même qui ont montré quelques sentimens meilleurs. Tout, chez Homère, est fortement empreint de la barbarie primitive et la chevalerie ne s’y montre pas. Si par moment on croit qu’elle va paraître, l’illusion n’est pas longue ; il y a dans l’Iliade un épisode raconté par l’auteur, quel qu’il soit, avec la naïveté délicieuse qui est le caractère de cette antique poésie : Diomède et Glaucus se rencontrent dans la mêlée et vont se frapper, quand ils reconnaissent que leurs aïeux ont eu des liens d’hospitalité ; alors ils suspendent leurs coups, puis, avant de s’éloigner, ils échangent leurs armes. Voilà un incident qui figurerait à merveille dans un récit chevaleresque, mais la conclusion du poète grec est fort différente du sentiment qu’exprimerait un pète moderne au sujet d’une pareille rencontre. Homère se contente de cette réflexion peu sentimentale : « Le grand Jupiter aveugla l’ame d’un de ces guerriers qui donna une armure qui valait cent bœufs pour une armure qui n’en valait que neuf. » La naïveté antique ressaisit le poète au moment où il semblerait qu’un autre ordre de sentimens plus semblables aux sentimens modernes va se faire jour dans son récit.

Quant aux femmes, leur situation dans l’Iliade est très secondaire ; une femme est bien la cause de la guerre ; mais ce n’est pas pour lui plaire, ni pour lui faire honneur que l’on combat, c’est pour la conquérir et la rendre à son époux. Des idées conjugales sont au fond de l’Iliade aussi bien que de l’Odyssée, mais rien n’y ressemble à l’amour chevaleresque. Briseïs est une esclave favorite ; quoiqu’Achille ressente vivement l’injure qu’on lui fait en la lui ravissant, il n’a pas pour elle un sentiment très délicat, et son amitié pour Patrocle l’emporte de beaucoup sur son amour pour Briseïs. Veut-on apprécier à quel point les mœurs homériques sont loin des mœurs chevaleresques ? il suffit de rapprocher l’Achille d’Homère de l’Achille de Racine. Toute l’antiquité grecque et latine a suivi Homère à cet égard, et les sentimens chevaleresques ne s’y montrent ni dans l’histoire, ni dans la poésie ; on y trouve la passion ; chez Virgile, par exemple, l’amour de Didon est peint admirablement, mais cet amour est toujours une malédiction envoyée par les dieux, un obstacle aux grandes destinées des héros et aux desseins de l’Olympe ; il n’est jamais ce qu’il est toujours dans le point de vue de la chevalerie moderne, la source des belles actions et des grandes choses. Dans l’histoire, la même observation se présente : l’antiquité, qui a de si grands hommes, n’a pas de personnages chevaleresques comme Richard Cœur-de-Lion, François Ier et Charles XII ; elle ne connaît pas cette exaltation qui fait