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DE LA CHEVALERIE.

rement comme un vernis plus moderne et purement chevaleresque ; de là un contraste frappant entre les deux parties de cette poésie, qui appartiennent à deux différens âges, l’âge de la vieille barbarie germaine et la période chevaleresque. Tandis que les héros bourguignons combattent Attila dans un palais embrasé, et que la soif causée par l’incendie les dévore, le plus farouche d’entre eux, Hagen, crie à un autre guerrier : « Si tu as soif, bois du sang. » Le guerrier obéit à ce conseil ; il boit du sang qui coule d’un cadavre encore chaud, et trouve cette boisson très délectable. Eh bien ! à quelques pages de ce récit, qui fait penser aux anthropophages, est un morceau empreint de toute la noblesse des sentimens chevaleresques les plus délicats. Le margrave Rudiger a donné l’hospitalité aux Nibelungen, il a marié sa fille à l’un d’entre eux ; mais, vassal d’Attila, il est forcé par son suzerain de prendre les armes contre ses anciens hôtes ; il s’avance vers eux plein de tristesse et leur dit : « Je vous aime et je viens vous combattre ; il le faut, mon seigneur l’a voulu. » Un des Nibelungen, Hagen, se plaint que son bouclier a été haché à son bras et envie celui que porte Rudiger. « Prends-le, dit le bon margrave, et puisse-t-il te protéger ! maintenant, je n’ai plus qu’à vous combattre, en pleurant d’être réduit à cette extrémité ; » et alors ce guerrier pleure, et tous ces guerriers farouches, qui tout à l’heure buvaient du sang, pleurent aussi, et ils se massacrent à leur grand regret, pour obéir aux lois de l’honneur et de la chevalerie. Mais cette portion du poème n’appartient pas à l’ancien fond germanique, elle fait contraste avec lui ; c’est dans certaines sagas qu’on voit les anciennes mœurs germaniques, en Islande, tourner à la civilisation, et, en devenant plus civilisées, devenir un peu chevaleresques. Mais, à côté de ce commencement de chevalerie, la barbarie est toujours là. Ainsi, dans un duel que raconte une saga, l’un des combattans coupe le pied à l’autre ; le blessé dit qu’il éprouve une grande soif et demande de l’eau à son adversaire, qui, généreusement, à la manière de Tancrède, en va puiser ; mais son rival, moins chevaleresque, lui porte un coup mortel. On voit la barbarie qui dure encore et la générosité qui commence à poindre aux prises, pour ainsi, dire, l’une avec l’autre. La même opposition peut s’observer dans divers traits des mœurs islandaises. Ces farouches rois de la mer, qui couvraient de leurs ravages et de leurs exploits les côtes de l’Europe, avaient un code d’honneur assez extraordinaire : plusieurs d’entre eux se faisaient une loi de ne combattre qu’avec des armes très courtes pour être plus près de l’ennemi, de ne faire panser leurs blessures que vingt-quatre heures après les avoir reçues, de ne