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logue à celui que nous lui avons vu jouer dans les traditions homériques. Le Ramayana roule en partie sur les aventures de Sita, transportée dans l’île de Ceylan, et que Rama va reconquérir avec l’aide de son ami, le roi des singes ; Sita est, comme Hélène, une épouse qu’il s’agit de rendre à son époux ; seulement elle est plus fidèle qu’Hélène, mais c’est le même sentiment, le sentiment conjugal, qui est au fond de cette histoire. Le charmant drame de Sacountala respire toute la grace et toute l’ivresse de la passion orientale ; mais ici encore la femme n’est point l’égale de l’homme ; et les paroles pleines de charme que Sacountala adresse au roi Douchmantas, attestent, au milieu des plus tendres effusions, une situation inférieure et subordonnée.

La Chine est peu chevaleresque ; mais comme la civilisation y est extrêmement avancée, il en résulte qu’on rencontre, dans la littérature de ce pays, des raffinemens, sinon pareils, du moins égaux à ce que la littérature européenne présente en ce genre de plus délicat et de plus subtil. Ainsi, dans un roman chinois traduit en anglais, l’Heureuse union, vous verrez un jeune homme qui va secourant les belles opprimées, qui arrache une jeune fille de condition inférieure à un ravisseur puissant, qui, plus tard, délivre l’héroïne du roman des embûches que lui tendent un jeune débauché et un magistrat prévaricateur ; après ce beau trait qui a inspiré à la jeune fille une juste reconnaissance, quand toutes les circonstances extérieures sont favorables à leur mariage, survient une difficulté qui naît d’une délicatesse de sentiment propre aux mœurs chinoises. Le jeune homme a excité l’inimitié du méchant magistrat ; celui-ci a cherché à le faire empoisonner, et la jeune fille, pour sauver la vie de son libérateur, a été obligée de le recueillir dans sa maison en l’absence de son père. Bien que tout se soit passé avec une convenance parfaite ; bien que le héros et l’héroïne ne se soient parlé qu’à travers un rideau suspendu dans la chambre où ils s’entretenaient, cependant tous deux, malgré leur attachement mutuel, refusent de s’épouser, parce qu’on pourrait croire qu’ils se sont vus avant de se marier, ce qui est, en Chine, la dernière des inconvenances ; il faut que l’empereur et l’impératrice interviennent à la fin du roman, pour faire passer les amans sur ce singulier scrupule. Tout cela est fort loin de nos mœurs et des sentimens chevaleresques du moyen-âge ; mais je mentionne ce roman, parce qu’il montre, au bout du monde, de certaines délicatesses, de certains raffinemens excessifs en matière d’honneur et de galanterie.